Douglas Engelbart
Douglas Engelbart (1925-2013), personnage peu connu du public non initié, est l’une des figures emblématiques de l’histoire informatique. Il est surtout connu pour son invention de la souris d’ordinateur et comme pionnier du développement de la messagerie électronique, du traitement de texte et de l’Internet. Son travail s’inspire du projet Memex de Vannevar Bush et de son célèbre aricle « As We may Think » (1945), et se prolonge dans Xanadu, le projet hypertexte de Ted Nelson (1965) et le World Wide Web de Tim Berners-Lee (1989).
Figure emblématique de l’histoire informatique, Douglas Engelbart est connu comme le père fondateur de la souris d’ordinateur et l’un des pionniers du développement de la messagerie électronique, du traitement de texte et de l’Internet. Né le 25 janvier 1925 à Portland, Oregon, il a obtenu son diplôme d’études secondaires en 1942 et a immédiatement postulé à l’Université d’État de l’Oregon où il a étudié l’ingénierie électrique avant de poursuivre ses études jusqu’à l’obtention d’un Master en 1953. Il a ensuite travaillé chez Berkley en tant que professeur avant de rejoindre le Stanford Research Institute (SRI) en Californie où il a travaillé pendant plus de 20 ans, d’abord en tant que chercheur puis dès 1959 comme directeur du centre de recherche sur l’augmentation qu’il a lui-même fondé. C’est l’endroit où il a commencé à travailler sur l’invention de la souris d’ordinateur. C’était aussi l’époque où il préparait son doctorat en génie électrique à l’Université de Californie.
Douglas Engelbart a fondé le SRI International Augmentation Research Center comme structure de recherche auxiliaire sur les outils et méthodes de partage informatique. Ses travaux ont changé l’archétype de l’intellect humain comme le prouve son article de recherche publié en 1962 sous le titre « Augmenter l’intellect humain : un cadre conceptuel » (Augmenting Human Intellect: A conceptual Framework). Cette recherche a mis en évidence les opportunités de croissance et la manière dont celles-ci sont traversées par les avancées technologiques.
Engelbart a été l’un des pionniers de l’Internet et ses contributions ont eu un impact considérable sur la façon dont notre monde fonctionne aujourd’hui. Le 9 décembre 1968, il a donné une première démonstration sur les différents paradigmes et technologies informatiques. Cette démo, qualifié de « La mère des démos » (The mother of demos) a changé le monde jusqu’à nos jours. C’était la première fois qu’une présentation multimédia était suivie d’une session de vidéoconférence. Le concept de communication via des ordinateurs a été ainsi illustré.
The Mother of All Demos, presented by Douglas Engelbart (1968)
Outre ses inventions et la vingtaine de brevets à son compte, il a publié 25 articles de recherche et a remporté de nombreux prix pour son travail. Il a été entre autres médaille nationale de la technologie et de l’innovation et prix Lemelson MIT.
Une histoire originale de souris :
C’était au SRI qu’Engelbart a développé dès 1964 l’idée de la « souris » d’ordinateur. Comme le souligne Tierry Bardini, « la technologie de base utilisée par la souris avait une longue histoire et, comme pour le jeu de clés d’accord, l’innovation d’Engelbart consistait en partie à pouvoir imaginer – à un moment d’aliénation par rapport à ce que tout le monde discutait, une nouvelle utilisation pour une technologie ancienne »[1]. Bardiny rapport un extrait d’entretien avec Engelbart en 1996 dans lequel il raconte comment lui et venue l’idée de la souris. « Je me souviens être assis à une conférence graphique et de me sentir comme si de rien n’était parce que tout le monde parlait et je ne suis pas du tout habile à les amener à m’écouter. Alors souvent, par frustration, je commençais à parler à moi-même. Je me souviens avoir pensé : « Oh, comment contrôleriez-vous un curseur de différentes manières ? » Je me souviens comment mon esprit est revenu à un appareil appelé planimètre utilisé par l’ingénierie. C’est un peu mécanique et simple … j’ai vu cela quand j’étais senior et j’en étais fasciné « .
Une fois qu’Engelbart s’est lancé dans le projet de conception de la souris électronique, les tests qu’il a effectués ont démontré qu’en vue d’interagir de manière simple et pratique avec des ordinateurs, la souris était plus efficace et performante que d’autres appareils conçus pour effectuer des sélections à l’écran, tels que le stylo optique et le joystick. Il a finalement configuré cet artefact qu’il a confié à l’ingénieur Bill English, membre de son équipe, pour réaliser la conception détaillée. La société Xerox a ultérieurement repris le concept dans ses laboratoires de Palo Alto où elle lui a donné un nouveau look.
Le premier prototype d’une souris d’ordinateur a été construit à la main. Construit en bois, il a été breveté sous le nom « Indicateur de position X-Y pour un système d’affichage ». Vue comme telle, cette première souris a un style presque préhistorique et archaïque, mais ses fonctions de base restent intactes jusqu’à aujourd’hui.

Elle avait un design carré, comme s’il s’agissait d’un pavé, et comportait deux roues en métal qui, lorsqu’elles se déplaçaient sur une surface, déplaçaient deux axes (un mouvement horizontal et un mouvement vertical). Ils l’appelaient populairement « bug ». Lors de la présentation publique de sa souris, Engelbart a également présenté une interface graphique utilisant le système de fenêtre et un mécanisme permettant de surfer sur Internet plusieurs années avant le développement de l’ordinateur.
Le premier ordinateur avec souris incluse, appelé Xerox Star 8010, a été lancé plusieurs années plus tard, le 27 avril 1981. Il a été suivi par le Commodore Amiga, Atari ST et Apple Lisa.
Une question originale reste toutefois à élucider : pourquoi avoir donné à cette invention le nom de souris ? Aujourd’hui, on l’aurait très facilement compris juste à la forme des souris informatiques modernes qui rappelle fortement le petit rongeur. Mais au fait, l’histoire a un enracinement culturel plus subtil. Depuis très longtemps, dans le monde de l’automobile, l’homme utilise des noms d’animaux pour nommer certains objets ou voitures comme les chevaux, les coccinelles, les jaguars, etc. Il en est de même dans le monde de l’informatique comme le virus, la puce ou la souris. En général, ces noms sont donnés par rapport à une ressemblance avec l’animal. En ce qui concerne la première souris informatique, qui a vu le jour dans l’Orégon en 1964, elle avait des « oreilles » (deux roues puis deux boutons gauche/droite), une « queue » (câble électrique qui fut ensuite supprimé au compte du Wireless) et un corps (boitier, quoique carré à l’origine, il a pris rapidement la forme fuselée du corps du rongeur). Dans toutes ses variantes physionomiques, elle a toujours rappelé en tous points le petit animal. Elle en a donc pris automatiquement le nom.
La souris a rapidement connu des évolutions, d’abord un bouton à double fonctions permettant le clic gauche et le clic droit. Ensuite, lui fut ajoutée une molette au milieu des deux boutons, permettant le défilement vertical sur écran. Au début, on avait connu la souris à un trackball, une boule de commande qui permettait de déplacer le pointeur sur l’écran. Puis le trackball fût retourné pour être remplacé par la friction de la boule contre un support plat pour contrôler le mouvement du pointeur. Plus tard, les souris à boules ont été majoritairement remplacées par les souris optiques reconnues grâce aux LED rouges qui remplacent la boule sous la souris. Le système mécanique à boule avait en effet tendance à ramasser la poussière de la surface horizontale et à encrasser les rouleaux capteurs, ce qui exigeait un nettoyage interne régulier. Autre grosse évolution, le câble reliant la souris au PC a majoritairement disparu au profit des souris sans fils.
De la souris d’Engelbart à l’hypertexte de Ted Nelson au Web de Tim Berners’ Leee
L’invention de la souris allait trouver, voire impacter, le travail de Ted Nelson, fondateur en 1960 du premier projet Hypertexte, le non moins célèbre projet Xanadu. Les deux hommes n’étaient pourtant pas en contact. Ils ne se sont connus qu’au milieu des années 1960 et sont devenus des amis pour la vie.
Les deux chercheurs débutaient à un moment où les ordinateurs, utilisés pour des fonctions mathématiques et scientifiques complexes, étaient encore loin de l’idée de l’informatique interactive. Cen’est qu’en 1962 qu’Engelbart avait publié son rapport fondamental « Augmenting Human Intellect : A Conceptual Framework »[2], dans lequel il documentait son projet d’écrans d’affichage interactifs bombardant un espace d’informations contenant des données croisées. Le principe de l’interactivité informatique prenait corps au sein du système NLS ou « système en ligne », conçu par Douglas Engelbart et mis en œuvre par des chercheurs du Centre de recherche sur l’augmentation (ARC) du Stanford Research Institute (SRI). Il s’agissait d’un système de collaboration informatique révolutionnaire fondé sur l’utilisation pratique des liens hypertextes et de la souris. Le système NLS était à cet égard un hypermédia pionnier (textes, liens, diagrammes, email, code source, etc.) dont les produits eurent probablement une influence notoire sur l’évolution et la diffusion ultérieures de l’hypermédia. Engelbart l’avait d’ailleurs bien souligné, comme le rapporte Andrew Maisel[3], à l’occasion de sa présentation à la conférence informatique commune de l’automne 1968 et de la démonstration hypermédia que son groupe avait réalisée en direct depuis le SRI : « À la fin de 1968, nous avions non seulement développé la souris, mais également des éléments tels que l’hypertexte, l’édition dynamique à l’écran, et vidéo conférence ».
Comme le montrent les travaux de Douglas Engelbart, de ses prédécesseurs (Bush) et successeurs (Nelson, Atkinson, Berners-Lee), le système hypertexte constituait une vision efficace d’avenir qui s’engage avec la société et s’appuie sur de l’expérience personnelle et réelle. Cette vision, à l’instar du concept d’hypertexte de Ted Nelson et Hypercard de Bill Atkinson, impliquait des concepts de niveau supérieur liés à des idées et des exemples spécifiques et concrets. Elle est du type de vision qui peut évoluer vers une utilisation généralisée et de nouveaux types d’usages publics. Une telle vision peut aussi s’appuyer sur des modes de pensée et de description utopiques comme Memex, le système de Vannevar Bush et certains des concepts riches de l’hypertexte de Ted Nelson. Bref, le système d’Engelbart a pris racine parce qu’il était assez simple pour être adopté. Il était aussi ouvert et disponible pour les utilisateurs.
Engelbart attribue le mérite à Ted Nelson d’avoir découvert le lien hypertexte. Les deux travaillaient d’ailleurs simultanément sur des idées similaires. Mais Engelbart affirme qu’il disposait des installations et du financement nécessaire pour construire une machine, ce qui a permis d’explorer ces idées. Le concept d’hypertexte de Nelson a de son côté influencé plusieurs ingénieurs dont Tim Berners-Lee qui a inventé le World Wide Web en 1989, que nous discuterons dans une page à part du panthéon des auteurs de ce site.
Source : Gavin Buck Gordon, Topic Maps, Hypertext and Knowledge Management (Slide 6)
En définitive, tous les fondateurs du Web, depuis Engelbart à Nelson, jusqu’à Berners-Lee ont été inspirés par le célébrissime article de Vannevar Bush « As We May Think »[4] publié en 1945. Ils s’inscrivent tous dans une filière de révolution technologique qui allait aboutir à l’écosystème numérique de objets connectés et de l’intelligence artificielle que nous connaissons aujourd’hui. Bush était si en avance sur son temps que ses idées demeurèrent des rêves jusque dans les années soixante. Avec le décollage des ordinateurs numériques, le véritable hypertexte est vite devenu une réalité dont Ted Nelson s’est inspirée pour développer son project Xanadu et que Tim Bernes-Lee a matérialisé dans son projet du Web. Douglas Engelbart, qui travaillait sur son système révolutionnaire NLS (oNLine System) y avait aussi lourdement contribué par le système NLS dont l’une des nombreuses fonctionnalités novatrices consistait à permettre aux utilisateurs de naviguer dans un document en utilisant des hyperliens. C’est pour dire enfin de compte, que l’univers du numérique dans lequel nous vivons actuellement reste redevable à ces grands inventeurs comme Bush, Engelbart, Nelson et Berners-Lee, qui par des idées très modestes au début, à l’image d’une souris métaphorique électronique à clic, ont permis de construire un empire numérique mondial. D’autres inventions majeures sont sans aucun doute déjà sous notre nez, mais leur importance fondamentale sera révélée ultérieurement dans un processus de d’intégration, de convergence et d’interopérabilité avec d’autres artefacts comme l’ont été la souris et l’hypertexte.
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Notes
[1] Bardini, Thierry. 2000. Bootstrapping: Douglas Engelbart, Coevolution, and the Origins of Personal Computing. Stanford University Press.
[2] Douglas C. Engelbart. « Augmenting Human Intellect: A Conceptual Framework« . October 1962.
[3] Doug Engelbart: The Father of the Mouse, by Andrew Maisel, SuperKids
[4] Vannevar Bush. « As We May Think », The Atlantic Monthly, 1945
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Sources
- Sheryl Brown. Famous invenors : Douglas Engelbart.
- Douglas Engelbart and the Mother of All Demos, Brown University.
- Doug Engelbart: The Father of the Mouse, by Andrew Maisel, SuperKids
- Bardini, Thierry. 2000. Bootstrapping: Douglas Engelbart, Coevolution, and the Origins of Personal Computing. Stanford University Press.