Roland Barthes

Roland Barthes (1915-1980) fut l’une des principales figures du structuralisme du XXe siècle. Tel Marcel Proust, il est passé d’une vie mondaine à une existence recluse grâce au projet romanesque de La Recherche qu’il s’est résolu à lui consacrer tout son temps et toute son énergie. Également dialecticien, selon certains, la dialectique dans son œuvre est considérée à la fois classique et moderne, réinventée depuis Hegel et Marx, à la lumière du structurisme et du post-structurisme. Il a élaboré à travers ses différentes oeuvres une pensée critique singulière en dialogue permanent avec l’ensemble des mouvements intellectuels de son époque.

Roland Barthes fut l’un des premiers théoriciens structuralistes ou poststructuralistes de la culture du XXe siècle. Son travail a été pionnier dans le courant des idées structuralistes et sémiologiques venues étayer jusqu’à nos jours les études culturelles et la théorie critique. Il était aussi un parangon précoce d’une critique marginale faisant de lui un outsider d’abord en tant qu’homosexuel dans un milieu conservateur, puis en tant que protestant dans une culture catholique, mais aussi en tant qu’étranger par rapport à l’establishment académique français de son époque. Malgré ces « handicaps », il jouissait à la fin de sa vie d’une grande renommée en France et dans le monde.

BARTHES ET LA SEMIOLOGIE

Les pères fondateurs de la sémiologie (ou sémiotique : science des signes) comme Ferdinand de Saussure (1857-1913) ont bâti ce vaste domaine scientifique au sein duquel la linguistique constitue un sous-domaine important. A partir des années soixante, Roland Barthes « fondera la sémiologie de l’image en empruntant à la linguistique [saussurienne] ses concepts. C’était sans doute la condition historique pour que l’image, en tant qu’objet d’étude, puisse faire son entrée à l’université. Roland Barthes pour l’image fixe, puis Christian Metz pour le cinéma auront été les deux figures emblématiques de ce mouvement » (Achard). Barthes est connu surtout pour avoir fondé la sémiologie de la Signification étudie les signes et les indices sans a priori. ce courant intellectuel s’intéresse plutôt à ce que toute chose peut signifier sans se préoccuper si cette signification est volontaire ou non. Cherchant à interpréter des phénomènes de société, elle cherche si les choses n’ont pas un sens caché et des valeurs symboliques.

 

Barthes – À propos du Plaisir du texte (1973)

En plus d’être l’un des théoriciens pionniers de l’étude des signes (la sémiologie), Barthes est également considéré comme un structuraliste adepte du modèle linguistique saussurien. Il est parfois considéré aussi comme un poststructuraliste, ce mouvement intellectuel des années 70 dont Michel Foucault et Jacques Derrida représentaient les figures de proue.

Avenure sémiologique

La sémiologie chez Barthes se réfère normalement à quelque chose qui transmet un sens comme un mot écrit ou parlé, un symbole ou un mythe qui véhicule un sens qui lui est associé. Les signes pour Barthes vont de la parole, du langage corporel et des symboles aux peintures, à la musique et au code Morse. Le nouveau dans la théorie sémiologique de Barthes c’est qu’elle a rompu le processus de lecture des signes pour se concentrer sur leur interprétation par différentes cultures ou sociétés. Les signes auraient ainsi à la fois un signifiant, c’est la forme physique tel que nous la percevons par nos sens, et le signifié, c’est-à-dire le sens qui résulte de notre interprétation du même signe.

Barthes avance aussi une théorie du signe à deux aspects : tout signe idéologique est soit un système de signes dénotatifs, soit un système de signes connotatifs. Un signe dénotatif est un système strictement descriptif qui résulte de la combinaison de l’image signifiante et du concept signifié. En revanche, un signe connotatif est celui qui a perdu son sens historique sous l’effet d’un certain nombre de facteurs comme les changements que subit une culture ou une terminologie données, un événement quelconque ou même simplement une évolution de société. En d’autres termes, Barthes focalise avec insistance la distinction entre signifiant et signifié. Le signifiant pour lui est l’image utilisée pour représenter quelque chose d’autre que le signifié. Ce dernier représente une chose réelle ou, dans une lecture plus stricte, une impression de sens. Le signifié pour lui a parfois même une existence en dehors du langage et de la construction sociale ; ce qui n’est point le cas du signifiant. En outre, la relation entre les deux, reste finalement arbitraire puisqu’il existe de nombreuses façons par lesquelles un signifié particulier pourrait être exprimé dans un langage, ou dans des objets différents sans que l’un soit finalement supérieur aux autres.

S’inspirant de l’analyse saussurienne, la sémiologie barthésienne accorderait ainsi beaucoup plus d’importance au contenu du texte qu’à sa forme et au texte plus qu’à l’image. Cependant, Barthes n’applique pas mécaniquement la théorie de Saussure. Il remplace en grande partie le terme « arbitraire » de Saussure par le terme « motivé ». La relation entre un signifiant et un signifié n’est arbitraire que du point de vue du langage. D’un point de vue social, cette relation canalise des intérêts ou des désirs particuliers qu’on pourrait expliquer par référence à la société dans laquelle opèrent les signes. Rien n’est vraiment vide de sens. Les signes ne sont ni irrationnels ni naturels.

 ŒUVRES PHARES

Les œuvres de Roland Barthes traduisent quatre étapes clés de sa carrière :

  1. Une première étape marquée par son influence marxisme allant de l’écriture de son livre « Degré Zéro » en 1953 jusqu’à « Mythologies » en 1957 ;
  2. Une deuxième étape marquée par son penchant structuraliste et mythologique entamée avec « La mort de l’auteur » en 1967
  3. Une troisième étape poststructuraliste marqué notamment par son livre S/Z publié en
  4. Une quatrième étape qui traduit son expérience physique de la lecture et la publication de son autobiographie « Roland Barthes /sur Roland Barthes ».

Le degré zéro de l’écriture suivi de Nouveaux essais critiques, (Éditions du Seuil, Paris, 1953). Les principales questions abordées par Roland Barthes dans ce livre sont à propos de l’existence ou non d’une littérature révolutionnaire, et si la littérature peut bien être politique. Il s’adresse par ce manifeste à toute la communauté littéraire européenne depuis les années 1930 pour contester la notion d’obligation de la société à être engagée socialement. Selon Barthes, l’écrivain a une responsabilité politique et éthique, mais l’histoire de la littérature française montre que l’écrivain a souvent échoué à le prouver. Du point de vue de Barthes, la littérature n’est guère plus que le mythe d’elle-même. Le livre présente dans un langage intransigeant les thèmes qui allaient faire de Barthes l’une des voix dominantes de la critique littéraire.

Vincent Joly a écrit en 2009 à propos des rêves et échecs dans le Degré zéro de l’écriture de Roland Barthes :  « Le premier livre de Barthes est loin d’être le plus simple à appréhender. Seule tentative pour accorder la littérature à l’Histoire, ce texte jeune plein de fulgurances et de zones d’ombres constitue un véritable « hapax théorique » au sein du corpus barthésien. Dans cette première partie, nous chercherons à montrer que l’on peut lire ce livre comme la germination de l’interrogation critique qui soutiendra l’œuvre de Barthes. Pour commencer nous étudierons les rêves et les projets qui nourrissent l’écriture du Degré zéro. Puis nous montrerons que, de ces espoirs, il ne reste que peu de choses dans le corps du texte : d’une part Barthes s’en tient à un historicisme de façade difficilement compatible avec ses ambitions affichées ; d’autre part, le texte ne cesse de dévier vers l’évocation d’une littérature innocente et adamique. C’est qu’en réalité le Degré zéro est le produit du tissage de deux propos antagonistes, dont le second est l’écriture de la résistance de la littérature au réductionnisme historique projeté par le critique. Nous chercherons alors à découvrir dans ce livre une interrogation plus profonde sur ce qu’est la littérature. Interrogation qui fait du premier livre de Barthes l’ouverture à son aventure critique. » (Joly, 2009)

La mort de l’Auteur (1967). Barthes était très connu par son célèbre maxime de « la mort de l’auteur », l’une de ses œuvres phares dont les implications philosophiques transcendent la littérature et sont étroitement liées aux tendances postmodernes de l’effondrement du sens, de l’incapacité de l’originalité, de la mort de Dieu et de la découverte multiple. L’essai soutient qu’une œuvre littéraire ne devrait pas être analysée par l’information sur la personne réelle qui l’a créée. Par cette acception se résume la théorie littéraire de Barthes fondée sur l’opposition ferme à l’incorporation des antécédents, de l’éducation, de la caste, de l’origine ethnique, de la religion, de la nationalité et du sexe d’un auteur dans l’interprétation de ses œuvres littéraires. Barthes était d’avis qu’un écrivain et son travail sont des entités séparées qui ne doivent pas être associés pendant l’examen critique de son œuvre. Il met ainsi en cause toute pratique de critique littéraire à partir de prérequis sur la partialité de l’auteur et ses convictions religieuses ou politiques. Cette méthode constitue en réalité un système défectueux de compréhension qui peut potentiellement limiter la compréhension des lecteurs. Par cette affirmation, Barthes s’oppose remet en cause l’idée que les auteurs créent consciemment des chefs-d’œuvre. Il affirme que des auteurs illustres comme Racine ou Balzac reproduisent souvent des schémas émotionnels dont ils n’ont aucune connaissance consciente. Il s’oppose ainsi à l’idée que les auteurs devraient être interprétés en fonction de ce qu’ils pensent faire car l’origine réelle d’un texte n’est pas l’auteur, mais plutôt la langue. Si l’écrivain exprime quelque chose d’intérieur, c’est seulement le résultat du lexique qu’il a en lui et qui lui donne un art particulier de narration pour traduire des structures linguistiques ou des codes dans des récits ou des messages particuliers. Chaque texte est donc composé de plusieurs écritures mises en dialogue, chaque code faisant référence à l’extraction d’une culture antérieure. L’argument de Barthes est définitivement dirigé contre les écoles de critique littéraire qui cherchent à découvrir la signification de l’auteur comme un référent caché qui est le sens final du texte. En refusant « l’auteur » (dans le sens d’un grand écrivain exprimant un éclat intérieur), on refuse d’attribuer un sens ultime au texte, et par conséquent, on refuse de fixer son sens.

S/Z, essai sur Sarrasine d’Honoré de Balzac (Éditions du Seuil, Paris, 1970) : Dans son essai S/Z publié en 1970 entièrement consacré à l’analyse de la nouvelle « Sarrazine » de Balzac, Barthes exprime son opinion sur ce qui constitue un texte idéal. Un texte idéal pour Barthes n’est pas restreint dans son sens et peut donc être interprété de différentes manières. À cet égard, Barthes introduit deux termes littéraires : un « texte écrit », signifiant un texte qui peut être compris de manière créative par les lecteurs, et un « texte de lecture », dans lequel les lecteurs sont limités au sens voulu par l’écrivain.

L’approche de Roland Barthes de la nouvelle de Balzac est basée sur plusieurs hypothèses théoriques importantes sur la nature de la littérature dérivée de l’étude de la linguistique. Ce que les structuralistes tentent de faire, dit Barthes, est de décomposer un objet (une œuvre littéraire, un film ou toute autre création culturelle) et ensuite de reconstruire l’objet de manière à clarifier les règles par lesquelles l’objet fonctionne – c.-à-d. les moyens mêmes qui permettent à l’objet d’être un objet culturel et de se communiquer comme tel. Pour Barthes, bien qu’une œuvre d’art puisse sembler copier quelque chose en dehors de lui-même (par exemple, un roman peut sembler copier ou décrire un événement qui se produit quelque part, ce n’est pas la nature de l’objet ou de l’événement copié qui fait qu’il soit une œuvre d’art, bien que cela soit un préjugé d’une approche réaliste de la littérature. Au lieu de cela, ce qui fait du roman un roman, c’est la technique qui le différencie du « monde réel » hypothétique qu’il semble imiter.

Dans ce livre, Barthes démontre non seulement un moyen d’appliquer des concepts sémiologiques, structuralistes, psychanalytiques, linguistiques et poétiques à l’analyse d’une œuvre littéraire unique, mais donne aussi en avant-propos un exemple concret et détaillé de sa méthode. Il retrace les conventions et les codes culturels dans une œuvre de fiction courte, Sarrasine de Balzac. Il explique par la même occasion la base théorique de son approche pour permettre aux autres de faire le même travail critique. Tout au long de sa carrière, une grande partie du travail de Barthes a fonctionné implicitement comme une polémique et explicitement comme un correctif à la pratique critique actuelle. Avec S/Z, il rejette la finalité d’une explication de texte ou d’une analyse aristotélicienne ou néo-critique de Sarrasine. Il ne découvre aucun « sens » définitif pour l’œuvre, mais l’ouvre plutôt à de multiples lectures. En effet, il implique que le travail du critique ou enseignant est d’enseigner non seulement comment une œuvre étroitement compliquée donne l’illusion de l’exhaustivité, mais aussi les nombreuses façons dont cette illusion de complétude n’est qu’un déterminant, bien que primaire, du texte.

Roland Barthes par Roland Barthes (Éditions du Seuil, Paris, 1975) :  Cet ouvrage est une autobiographie authentiquement postmoderne, une innovation dans l’art de l’autobiographie, comparable dans ses implications théoriques à l’autobiographie de Sartre Les Mots publiée en 1964 chez Gallimard. Recommandée par Denis Roche, à l’époque directeur aux éditions du Seuil de la collection « Écrivains de toujours », l’œuvre combine le personnel et le théorique chez l’auteur, relevant à la fois des aspects de son enfance, son éducation, ses gouts, ses passions et ses regrets. En fait, Roland Barthes par Roland Barthes, n’est pas une autobiographie classique. C’est plutôt un roman sans intrigue, ni décor, ni personnages à part le narrateur lui-même. Ce qui marque le lecteur en lisant l’œuvre, c’est surtout l’imitation des présentations, formats et surtout de la forte présence de l’iconographie qu’employaient les auteurs de la collection Écrivains de toujours. L’œuvre, qui commence par un petit album de photographies, assorties de commentaires, laisse penser, en effet, qu’elle sera entièrement nostalgique. Pourtant, cette dimension disparait aussitôt que la rédaction est entamée.

On découvre dans cette autobiographie un narrateur dans la peau d’un personnage de fiction, parlant à la troisième personne comme s’il voulait se voir et se comprendre de loin, un narrateur qui tente de fuir son personnage public pour s’approcher de sa propre personne comprise comme une énigme à déchiffrer. « L’effort vital de ce livre est de mettre en scène un imaginaire », dit Barthes. « L’imaginaire de l’intellect fait l’objet de ses investigations au gré de quelques thèmes dominants : le langage, l’écriture, l’idéologie, le politique, l’inconscient mais aussi le corps, le désir, la sensualité ou la répulsion » (Khouri, 2010).

CRITIQUES

Dans l’ensemble, Barthes est considéré comme un philosophe littéraire d’un style d’écriture vague et excentrique. Ses théories ont recueilli des quantités d’éloges mais aussi de critiques. Après les années 1970, sa philosophie s’est répandue non seulement en France, mais aussi en Amérique et en Europe. Il a inspiré divers philosophes et penseurs parmi lesquels Michael Foucault, Jacques Lacan et Jacques Derrida. Ses derniers livres, Roland Barthes de Roland Barthes (1975) et A Lover’s Discourse (1977) ont établi sa stature en tant que styliste littéraire et écrivain. A Barthes Reader (1982) et Incidents (1987) ont été publiés par son amie Susan Sontag à titre posthume. Son approche critique de la littérature a grandement contribué au développement de la sémiologie, du structuralisme et du poststructuralisme. Sa philosophie ne se limite pas à ces écoles de pensée. Il a affecté divers modes de communication, tels que la photographie, la musique et même les ordinateurs. Le travail de Roland Barthes est en constante évolution et s’adapte toujours, offrant de nouvelles perspectives aux philosophes littéraires, même aujourd’hui.

Les travaux de Barthes n’ont pourtant pas échappé à des vagues de critiques d’universitaires qui les considèrent plutôt pseudoscientifiques pour être, entre autres, très chargés de jargon. Barthes répond à cette critique que contrairement à la recherche académique pratiquée dans les universités françaises, il prônait plutôt un style mieux adapté aux nuances idéologiques, sociales, historiques et psychologiques de son époque.

Les théories de Barthes ont été néanmoins très acclamées en dehors de la France, surtout aux États-Unis où elles ont beaucoup contribué à faire du structuralisme et du poststructuralisme des écoles de critique renommées. Barthes a été surtout critiqué pour avoir abandonné ses premiers principes marxistes et structuralistes pour se concentrer ultérieurs de plus en plus sur le plaisir et le personnel. Néanmoins, depuis sa mort, il y a eu de nombreuses réévaluations de ses œuvres, ainsi que des recherches sur des aspects de son travail peu explorés avant 1980. Les critiques ont montré un intérêt particulier pour les écrits autobiographiques de Barthes, avec son biographe Louis-Jean Calvet, réexaminant les rebondissements de la réputation de Barthes après sa mort, et des critiques explorant l’influence de l’homosexualité de Barthes sur sa vie et ses œuvres

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Sources consultées :

  • A. Robinson, « An A to Z of Theory Roland Barthes and Semiotics ». In Theory, New in Ceasefire – Posted on Friday, September 23, 2011
  • G. Macassar. »Roland Barthes, un mythe malgré lui ». Télérama, Arts&Sciences. [http://www.telerama.fr/scenes/roland-barthes-un-mythe-malgre-lui,126802.php]
  • J.P. Achard. « Ecrits et ressources sur l’image ». [http://www.surlimage.info/ecrits/pdf/semiologie.pdf]
  • M. Perazzetti. « Barthes And Structuralism », Cultural conditioning, 24 September 2012 [http://mikeperazzetti.com/2012/09/barthes-and-structuralism/]
  • S. Khoury, Roland Barthes par Roland Barthes, Billeet de Blog, 24 janvier 2010 – [http://littexpress.over-blog.net/article-roland-barthes-par-roland-barthes-43504702.html]
  • S. M. Willette, « Roland Barthes: Structuralism »,  Art History Unstuffed, [http://arthistoryunstuffed.com/roland-barthes-structuralism/]
  • V. Joly « Rêves et échecs dans le Degré zéro de l’écriture », mai 2, 2009 [https://barthes.wordpress.com/2009/05/02/reves-et-echecs-dans-le-degre-zero-de-l-ecriture/]

 

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