Générations technologiques 5.0 : retour vers l’humain !

Dans le prolongement du billet précédent de janvier 2019, à propos d’une théorie générationnelle technologie qui préfigure une transformation progressive dans les nouveaux modèles de gouvernance sociétale, ce billet aborde les symptômes de quatre aspects d’un glissement générationnel technologique qui se matérialisent dans les domaines du Web, de la ville intelligente et de l’industrie, tout en se répercutant sur la société en général, une société dite aussi 5.0 ! Entre réalité et prospective, le débat est ouvert à tous les pronostics !

Les générations du Web : peut-on déjà parler d’une génération Web 5.0 ?

Le Web est un phénomène qui s’est largement banalisé dans notre quotidien, notamment depuis la génération 2.0 connue par l’émergence des réseaux sociaux et leurs fonctions collaboratives virtuelles. À en juger par les chiffres des réseaux sociaux, sur les 7,6 milliards d’habitants de la planète, environ 4,1 milliards ont accès à l’Internet (54 %) et environ 3,3 milliards sont actifs sur les réseaux sociaux (43% de la population mondiale) avec un temps moyen de navigation sur les réseaux sociaux de 1h20. De plus, l’utilisation des médias sociaux continue de croître et le nombre d’utilisateurs augmenté de près d’un million de nouveaux utilisateurs chaque jour au cours des 12 derniers mois. En 2018, le seuil de 4 milliards de personnes connectés dans le monde est franchi dont 9 utilisateurs sur 10 se connectent via des appareils mobiles.

Que seraient alors un Web 4.0 et un Web 5.0 ? On l’aura bien compris qu’après un Web 1.0 statique un Web 2.0 collaboratif des réseaux sociaux, le Web 3.0, dans lequel nous sommes entrés depuis plus d’une décennie, est qualifié de Web sémantique, c’est-à-dire un encodage (représentation) des données selon des règles de balisage qui, au-delà de la reconnaissance des formes des données, fournissent aux machines et aux systèmes d’information la capacité de reconnaitre le sens des données. L’un des plus grands défis organisationnels liés à la présentation d’informations sur le Web était que les applications Web n’étaient pas en mesure de fournir un contexte aux données et ne comprenaient donc pas vraiment ce qui était pertinent et ce qui ne l’était pas. Toute donnée textuelle était une simple série de chaines abstraites de caractères et toute donnée graphique ou sonore était-elle-aussi une chaine abstraite de codes représentant des variantes de luminosité ou des échantillons d’intensité sonore. Bien que cela existe encore, cette méthode de mise en forme des données a été enrichie par d’autres méthodes intégrant une ingénierie plus évoluée d’analyse sémantique des données comme les ontologies, la traduction automatique, la lexicographie, le traitement automatique du langage (TAL), etc. dans le but de se faire comprendre par les agents logiciels et des services Web. Mais c’est surtout pour prendre en charge l’interaction ordinateur à ordinateur via Internet que les services Web sont destinés à tirer profit des réseaux sémantiques du Web 3.0. Actuellement, des milliers de ces services sont disponibles. Ils combinent un balisage sémantique et des services d’analyse de sens laissant entrevoir le potentiel qu’ils peuvent avoir pour se parler directement entre eux et rendre possible des recherches d’informations plus ciblées via des interfaces plus conviviales et intelligentes (moteurs de recherche sémantique et agents intelligents).

Pour parler d’un Web 4.0 comme étape prenant le pas au Web 3.0, il n’est pas vraiment question d’une rupture ou d’innovation fondamentale mais plutôt d’une version améliorée de ce que nous connaissons déjà sous le Web 3.0. Au fait, le Web 4.0 est appréhendé sous plusieurs angles de vue. Pour beaucoup, les services Web 4.0 sont des agents autonomes, proactifs, auto-apprenants, collaboratifs et générateurs de contenus basés sur des technologies de sémantique, de raisonnement et d’Intelligence artificielle. Ils prennent en charge la présentation de contenus adaptatifs qui utilisera la base de données Web via un agent intelligent. Des exemples peuvent être des services en interaction avec des capteurs et des implants, des services en langage naturel ou des services de réalité virtuelle. Ils devaient aussi s’adapter à leur environnement marqué par les technologies mobiles. Le Web 4.0 connecte tous les appareils du monde réel et virtuel en temps réel.

Bien que le Web 4.0 soit toujours en développement et que sa forme réelle soit toujours en construction, les premiers signes du Web 5.0 commencent déjà à émerger sous forme d’un Web lié qui communiquera avec nous comme si nous communiquions les uns avec les autres. Il traitera de l’interaction (émotionnelle) entre les humains et les ordinateurs. A ce propos, le Web est pour le moment « émotionnellement » neutre, ce qui signifie qu’il ne perçoit ni les sentiments ni les émotions des utilisateurs. En revanche, avec le Web 5.0, l’interaction deviendra une habitude quotidienne pour beaucoup de gens, fondée à majeure partie sur la neuroscience, la neurotechnologie, les sciences cognitives, etc.

Pour autant, le Web 5.0 est encore hypothétique puisqu’aujourd’hui, nous n’en sommes qu’aux premiers balbutiements d’un espace émotionnel sensoriel où nous pourrons déplacer le Web d’un environnement émotionnellement plat à un espace d’interactions riches. Dans le Web 5.0, le prochain défi en matière de gestion consistera à véritablement adapter les interactions afin de créer des expériences riches avec une résonance émotionnelle pour les utilisateurs. Nous en voyons déjà des prémices dans les environnements de jeu en ligne. Le Web 5.0 sera néanmoins plus ciblé sur le niveau d’activation de l’utilisateur et sa réceptivité à l’information. Comme lors de toutes les transitions précédentes, le réseau sensoriel-émotif a le potentiel de transformer le Web d’un environnement bruyant en un lieu de vie plus riche en interactions réfléchies et affables. Cela pourrait également devenir un espace manipulateur et perturbateur pour les individus. Le temps révèlera comment nous utilisons ces nouvelles fonctionnalités du Web 5.0.

Vers une Smart city 5.0 : juste une question de temps ?

Pour rappel, une ville intelligente est une désignation qui associe les technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’amélioration de la qualité et de la performance des services urbains tels que l’énergie, les transports et les services publics, afin de réduire la consommation de ressources, le gaspillage et les coûts globaux. À travers les âges, plusieurs villes ont su faire preuve d’habilité pour injecter de l’intelligence dans les services rendus aux citoyens[1]. À l’ère du numérique, l’objectif global d’une ville intelligente est d’améliorer la qualité de vie de ses citoyens grâce à une technologie intelligente prenant les formes suivantes :

  • Application d’une grande variété de technologies numériques et électroniques à la ville et à ses communautés
  • Application des TIC pour améliorer la vie et les environnements de travail dans la région
  • Intégration de ces TIC dans les systèmes gouvernementaux
  • Territorialisation des pratiques qui rapprochent les personnes et les TIC pour favoriser l’innovation et valoriser les connaissances qu’elles offrent

Or, on se demande comment les services urbains ont connu une modernisation technologique évolutive pour faire d’une ville un espace intelligent qualifié de générations 1, 2, 3 ou 4 ? Rappelons à ce sujet que dans le domaine des Smart cities, le classement générationnel est en retard d’un cycle par rapport à d’autres domaines comme le Web et l’Industrie.

Certains commencent la classification par une Smart City 0.0, définie sur la base d’une technologie utilisée comme un facteur de facilitation des services urbains plutôt qu’une technologie invasive qui constitue une fin en soi comme on le voit de plus en plus dans la course au classement des Smart cities dans le monde.

Smart City 1.0, née à la fin des années 1990, est une municipalité qui optimise l’utilisation de technologies de pointe comme levier de viabilité, de durabilité et de contrôle. Mais très peu de villes pourraient se prévaloir du prédicat Smart City 1.0 car il ne suffit pas de mettre un WiFi gratuit dans tous les lieux public ou un smart lighting pour faire une smart city. Ce n’est donc pas la technologie qui doit faire la smart-city mais la capacité de la ville à remplir efficacement ses rôles économiques, sociétaux et/ou environnementaux. C’est relativement le prédicat de Smart City 2.0 qui est plus approprié à ces fonctions dès que des outils technologiques sont explicitement conçus pour résoudre des problèmes tels que la pollution, l’assainissement, la santé et le trafic en consultation avec les citoyens. Au début, aucune ville au monde ne pouvait non plus se prévaloir du prédicat de ville intelligente de génération 2.0 ou 3.0 jusqu’à l’implication massive des entreprises des technologies de l’information et de la communication (TIC) – en quête de vecteurs de croissances – qui ont réduit la ville en une structure multidimensionnelle d’infrastructures au sein desquelles circulent des flux. En tant qu’industriels des TIC, ces entreprises pouvaient revendiquer une massification et une expertise en architecture d’infrastructures technologique et en gestion de flux. Elles ont donc tout naturellement proposé d’optimiser les villes dans leurs fonctionnements.

Cependant, pour être une réussite, un projet de Smart City 2.0 doit être guidé par une vision qui correspond à une réalité vécue et une projection d’avenir d’une ville et de ses habitants. Le seul véritable consensus existant sur à ce sujet est que la Smart City 2.0 se doit d’aller au-delà de l’optimisation de l’infrastructure pour offrir à ses habitants un meilleur cadre de vie comme ils le désirent.

La Smart City 3.0 représente le 3e cycle d’évolution des Smart cities dans lesquelles les citoyens sont appelés à jouer un rôle plus actif. Toutefois, la Smart City 3.0 reste encore un projet de professionnels où l’initiative citoyenne peut fournir l’idée pour un projet de Smart City 3.0, mais elle ne sera pratiquement jamais optimisée. Une terminologie Smart City 4.0 est déjà lancée dans les tuyaux pour désigner la prochaine génération de villes super-intelligentes. Mais l’idée n’est encore qu’au niveau du concept et relève plutôt du domaine de la prospective. Une Smart City 5.0 n’est donc pas pour si tôt d’autant plus que les traits d’une génération de Smart city 4.0 ont encore du chemin à faire, notamment pour développer les compétences pour la quatrième révolution industrielle (Industrie 4.0) et accélérer les technologies des jeunes innovateurs, des jeunes entreprises et des grandes entreprises portées sur la création de meilleures solutions pour rendre les villes plus intelligentes, plus sûres et plus durables, des objectifs inscrits dans l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable.

 

De l’Industrie 4.0 à l’Industrie 5.0 : l’ère des Cobots !

L’Industrie 4.0 est définie comme « un terme générique utilisé pour décrire un groupe d’avancées technologiques connectées qui constituent le fondement d’une numérisation accrue de l’environnement des entreprises ». Cette définition est conforme à celle proposée par McKinsey qui définit la prochaine phase de la numérisation du secteur manufacturier comme phénomène entraîné par quatre perturbations : la hausse étonnante des volumes de données, la puissance de calcul et la connectivité, en particulier la puissance des nouveaux-réseaux étendus ; l’émergence de grandes capacités d’analyse et de veille économique ; de nouvelles formes d’interaction homme-machine telles que les interfaces tactiles et les systèmes de réalité augmentée ; des améliorations dans le transfert d’instructions numériques vers le monde physique telles que la robotique avancée et l’impression 3D, etc.

L’Industrie 4.0 puise ses ressources de quatre composantes clés à savoir : les Cyber Physical Systems (CPS), l’Internet des objets (IoT), l’Internet des services et la Smart Factory. Elle se ressource aussi dans six technologies majeures à savoir : 1) l’Internet des objets industriels (IIoT) et les CPS, 2) la production additive (3D – l’impression), 3) BigData, 4) une intelligence artificielle (IA), 5) des robots collaboratifs (CoBot) et 6) la réalité virtuelle.

Mais si l’Industrie 4.0 implique l’introduction de l’intelligence artificielle, la capture et l’analyse de données volumineuses et des niveaux de connectivité sans précédent, quel avenir prévoir via une Industrie 5.0 ?

La priorité de l’Industrie 5.0 est désormais d’utiliser efficacement à la fois des machines et des personnes dans un environnement de synergie collaborative créant un retour d’un environnement purement virtuel à un environnement plus réel. Cette forme de synergie s’articulera autour des interactions entre l’homme et la machine sous forme d’une plus grande collaboration entre les deux, d’autant plus que l’informatique cognitive sera mieux équipée pour travailler aux côtés de l’intelligence humaine. Cette collaboration constitue le changement le plus important apporté à l’Industrie 4.0. Elle visera ce qui est appelé une « usine intelligente ». Dans les usines intelligentes à structures modulaires de l’Industrie 5.0, des robots collaboratifs (Cobots) créent des systèmes hybrides (virtuels-physiques) pour surveiller les processus industriels et prendre des décisions conjointes et décentralisées. Grace à l’Internet des objets, les Cobots communiquent et coopèrent les uns avec les autres et avec les humains en temps réel. Ils aideront à boucler le processus de la conception en automatisant pleinement et efficacement l’ensemble du processus de production, laissant plus de marge aux humains pour créer et innover sans se soucier des contraintes de la production. Ainsi, contrairement à l’industrie 4.0 où les capacités robotiques occupent une place centrale, les robots industriels passent au second plan face à l’intelligence humaine dans l’industrie 5.0. Ils resteront toutefois un élément essentiel, permettant des méthodes de production entièrement nouvelles.

En définitive, bien que nous soyons encore en train de réaliser la véritable vision d’Industrie 4.0, l’industrie 5.0, bien que toujours inaccessible pour le moment, apportera des changements majeurs au secteur manufacturier.

Un cadre de vie d’une intelligence convergente : la société 5.0

« La société 5.0 symbolise les implications de la nouvelle révolution industrielle : la révolution de la data et de l’automatisation ! Le Japon figure bien évidemment parmi les nations qui se développent dans le domaine de l’intelligence artificielle, des automobiles autonomes par exemple »[2]. Le concept de société 5.0 a été proposé durant le 5ème Plan de base pour la science et la technologie en tant que société future à laquelle le Japon devrait aspirer.

La société 5.0 vient dans l’ordre historique des sociétés humaines depuis l’homme chasseur-cueilleur (Société 1.0), la société agraire (Société 2.0), société industrielle (Société 3.0) et société de l’information (Société 4.0).

Dans une présentation de l’ouvrage récent de Bruno Salgues (2018) sur la société 5.0[3], il est signalé que « La société 5.0, qui prévoit la naissance d’‘‘entreprises du futur’’, s’appuie sur des séries de concepts : automatisation, dématérialisation, digitalisation, industrialisation, ‘‘servicisation’’, qui bousculent la vie économique et la vie politique. Ces concepts sont à l’origine de nouveaux acteurs, de la mort d’organisations puissantes et reconnues, tandis que d’autres organisations voient leur mutation se réaliser, mutation qui est elle-même complexe, brutale, mais bien réelle. La société 5.0 fait suite à la naissance de technologies qui sont devenues matures et ont été diffusées dans des temps record. Parmi ces technologies, l’intelligence artificielle, la robotique, les plateformes numériques et l’impression 3D sont assurément les plus importantes. La société de l’information, société 4.0 qui succède à la société industrielle, est le fondement de cette nouvelle société que nous étudions. Ainsi, la quatrième révolution industrielle va transformer la plupart des industries traditionnelles dans les 5 à 10 prochaines années grâce aux technologies de l’information et de la communication et aux outils liés à la connaissance ».

______________________________________


[1] DOCOSENS, « Quelle désignation pour la Smart City », http://docosen.com/blog/2018/04/02/designation-smart-city/

[2] Le Japon et la société 5.0 – Murat Sömnez, WEForum, 4 juillet 2018 The Daily Finance. https://thedaily.finance/2018/07/04/le-japon-et-la-societe-5-0-murat-somnez-weforum/

[3] Bruno Salgues. « Société 5.0 : Industrie du futur, technologies, méthodes et outils ». ISTE, 2018, Coll. « Sciences, société et nouvelles technologies », 294 pages, Vol. 1

Vous aimerez aussi...