L’Humanisme numérique et la pensée Simondonienne

Gilbert Simondon, philosophe français du XXe siècle, est un humaniste des technologies qui pense que la technique doit être plus vue comme une médiatrice d’homme à homme ou d’homme à nature plutôt qu’un outil ou qu’un instrument qui plus est, au service d’une idéologie politique, sociale ou économique. « Seul l’Homme est responsable, en tant qu’être solitaire et mortel, de fonder l’Histoire de cet humanisme numérique grâce à l’essence et à l’intention qu’il donnera à tout type de relation, humaine et numérique ».

Nous constatons aujourd’hui que tous que les progrès du numérique induisent de très nombreux bouleversement sociaux, économiques, culturels, micro et macro-politiques. Il est certain que si la machine a été domptée par l’homme, l’homme s’est laissé souvent aussi aliéner par la machine. C’est l’une des théories de l’Humanisme numérique et post-numérique fondée sur la philosophie de Gilbert Simondon, philosophe de la fin des années 50, qui considère notamment que l’objet technique (tout objet technique du simple marteau au réseau informatique le plus sophistiqué) n’est pas radicalement séparable de la pensée et de la culture humaine. Bien sûr, en appréhendant notre technoculture, nous séparons naturellement, d’une part les objets techniques, les outils, les infrastructures que nous considérons comme appartenant au monde des objets, donc dénués de toute humanité, et d’autre part ceux qui appartiennent plus directement au monde de la pensée humaine et notamment des traces culturelles numériques ou autres (les livres, les films, la littérature, la musique ou la science).

Or, selon Simondon, un objet technique (un couteau, un composant électronique, un téléphone, un logiciel) contient, dans son essence même, de la pensée humaine. Chaque utilisateur d’un marteau convoque sans en avoir conscience l’effort d’innovation cumulé de plusieurs générations d’hommes préhistoriques qui sont passés du simple percuteur de silex tenu habilement en bout de bras à ce même percuteur attaché au bout d’un manche. Ainsi, comme l’écrit Simondon dans son livre phare Du Mode d’existence des objets techniques (Paris, Aubier, 1958, pp. 9-10) :  « La culture doit incorporer les êtres techniques sous forme de connaissance et de sens des valeurs [cependant] la culture se conduit envers l’objet technique comme l’homme envers l’étranger quand il se laisse emporter par la xénophobie primitive […] la machine est l’étrangère ; c’est l’étrangère en laquelle est enfermé de l’humain, méconnu, matérialisé, asservi, mais restant pourtant de l’humain. La plus forte cause d’aliénation dans le monde contemporain réside dans cette méconnaissance de la machine, qui n’est pas une aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance de sa nature. […] La prise de conscience des modes d’existence des objets techniques doit être effectuée par la pensée philosophique, qui se trouve avoir à remplir dans cette œuvre un devoir analogue à celui qu’elle a joué pour l’abolition de l’esclavage et l’affirmation de la valeur de la personne humaine ».

De ses autres affirmations : « Ce serait déjà un progrès moral inestimable si l’on appliquait à tout être humain et plus généralement à tout vivant les normes de protection, de sauvegarde et de ménagement que l’on accorde intelligemment à l’objet technique ; on doit traiter l’homme au moins comme une machine, afin d’apprendre à le considérer comme celui qui est capable de les créer. »

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