De la valeur stratégique des normes

La normalisation est très souvent entendue de façon dépréciative comme un projet d’uniformisation totalitaire et autoritaire. Or, il devient rapidement évident qu’elle est tout le contraire. La norme est au coeur de notre quotidien tant par les comportements et les pratiques relationnelles que par les usages et la manipulation des objets techniques.

Dans son acception triviale, la normalisation est très souvent entendue de façon dépréciative comme un projet d’uniformisation totalitaire et autoritaire. Or, pour qui approfondit un tant soit peu cette notion, il devient rapidement évident qu’elle est tout le contraire. On peut très rapidement évoquer Vitruve3 (env. 90-20 av. J.-C.) et souligner qu’il fonde toute l’harmonie et l’efficience de l’architecture sur la définition normalisée d’ordres et de styles qui s’articulent entre eux, et permettent de moduler des diversités d’organisations architectoniques d’un bâtiment selon la règle de convenance. Pour ce qui nous concerne, il est important de souligner que si l’on veut préserver la diversité des savoirs, des styles de transmission, des disciplines, des langues, des institutions, des éditeurs, mais aussi rendre accessible les savoirs dans des conditions complexes (handicap, mobilité, etc.) dans le contexte actuel de la mondialisation numérique, il devient indispensable que tous les acteurs de la transmission des savoirs oublient leurs a priori et considèrent la normalisation de la médiation des savoirs comme indispensable et condition incontournable de leur ordonnancement. Car tel est bien le problème : si nombre de décideurs institutionnels refusent de penser à harmoniser leurs ressources d’information, à définir leurs spécificités culturelles, la disparité de leurs styles de communication, la complexité de leurs niveaux de difficulté, la modularité de leur organisation structurelle, ce seront dès lors des industriels qui l’aménageront pour eux, marchandisant la transmission des savoirs d’une façon qu’ils jugeront a posteriori mal adaptée à la complexité de leurs besoins et exigences. Et encore s’agit-il du scénario le plus optimiste. Ce qui est en train d’advenir, c’est l’émergence d’offres unipolaires, unilingues et à modèle unique de provenance anglo-saxonne particulièrement américaine ou ceux sur lesquels le classement universitaire de Shanghai est défini. Ce risque n’est pas nul et la mise en place d’une normalisation intelligente et sophistiquée telle qu’elle se développe à l’ISO est à même de contrebalancer de telles offres « hostiles » qui pourraient en quelques années mettre à mal la vitalité de nombre d’institutions dans le monde.

C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, l’information et la communication numériques se sont notablement transformées pour constituer un système technique cohérent, hautement performant du point de vue de son interopérabilité, de ses capacités de modularité structurelles, sémantiques, référentielles, interactives, multimédias. Ces caractéristiques communes à tous les systèmes d’information numériques ne sont pas bien sûr spécifiques à la transmission du savoir. C’est dans un contexte plus élargi, plus précisément le Web, que les professionnels de la transmission du savoir doivent repenser la façon dont ils pourraient utiliser la normalisation pour défendre leurs diversités culturelles, linguistiques, disciplinaires, mais aussi territoriales et économiques.

Extrait de : BEN HENDA M. & HUDRISIER H, « Penser, classer apprendre et communiquer », Hermès « Classer, penser, contrôler », no 66, p. 160-166, 2013

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