Charles Babbage
Charles Babbage (1791-1871), inventeur de la machine à différence puis de la machine analytique, est considéré comme le « père de l’ordinateur ». Dans le souci de fabriquer des tables de calcul précises et sans erreurs, il a conçu les fondements du premier ordinateur à usage général, programmable par cartes perforées à l’image du métier de Jacquard. Son œuvre entamait un long processus d’améliorations qui a conduit vers l’ordinateur actuel en passant notamment par les innovations introduites par Konrad Zuse (Calcul binaire programmable), Paul Von Neumann (architecture d’ordinateur), Alan Turing (machine de Turing), Presper Eckert (le calculateur ENIAC), etc.
Mathématicien, ingénieur et inventeur anglais XIXe siècle, Charles Babbage (1791-1871) était souvent qualifié de « père de l’ordinateur » pour avoir inventé le premier ordinateur mécanique. Né à Londres le 26 décembre 1791, Babbage s’est vite révélé être un étudiant exceptionnel en mathématique pour être facilement accepté à Cambridge en 1810. En 812 il fonda au sein du Trinity College à Cambridge une « société analytique » pour développer un ordinateur ou une « machine à calculer », comme on l’appelait dans le temps. L’idée lui était venue de l’observation du taux élevé d’erreurs dans les tables de calcul mathématiques, largement utilisées à l’époque et sur lesquelles reposaient bien des procédures tant civiles que militaires. Rappelons à ce propos qu’au début du 19ème siècle, les moyens de calcul automatique se limitaient aux Pascalines, machines dont le système de report de la virgule limitait la précision à 6 ou 8 chiffres alors que les calculs de grande précision se faisaient à l’aide de tables, élaborées à la main, et qui comportaient beaucoup d’erreurs. Comme il était déjà très méthodique et adepte des tables logarithmiques, Babbage a eu l’idée d’une machine capable d’effectuer des calculs fastidieux de manière mécanique et précise. Ses idées ont été inspirées par les travaux de scientifiques antérieurs tels que Schickard, Pascal et Leibniz.
En tant qu’inventeur, les deux œuvres majeurs de Charles Babbage ont été le moteur à différence et le moteurs d’analyse, des inventions d’une grande complexité qu’on peut découvrir dans la vidéo sur YouTube
Le concept de « Moteur à différence »
Les moteurs à différence sont appelés ainsi en raison du principe mathématique sur lequel ils sont basés, à savoir la méthode des différences finies qui utilise uniquement l’addition arithmétique et supprime le besoin de multiplication et de division qui sont plus difficiles à mettre en œuvre mécaniquement. Ainsi s’agit-il strictement d’appareil numérique fonctionnant sur des chiffres discrets plutôt que sur des quantités lisses. Mais sa conception était très compliquée. Il était destiné à effectuer des calculs mathématiques approfondis, dont le fonctionnement nécessitait l’implication de l’utilisation de la puissance de la vapeur.
Babbage a débuté en 1821 avec le premier moteur à différence conçu pour calculer et tabuler les fonctions polynomiales (formées uniquement de produits et de sommes de constantes et d’indéterminées). La conception décrit une machine permettant de calculer une série de valeurs et d’imprimer automatiquement les résultats dans un tableau. Un appareil d’impression couplé mécaniquement à la section de calcul et faisant partie intégrante de celle-ci fait partie intégrante du concept de la conception. Le premier moteur à différence fut la première conception complète pour un moteur de calcul automatique. Babbage a réussi à en fabriquer un deuxième qui comptait 8 000 pièces mobiles, soit un tiers du nombre de pièces utilisées dans les machines précédentes. Compte tenu de la technologie disponible à l’époque, l’ingénierie a été spectaculaire et est devenue le premier ordinateur mécanique au monde. La machine de Babbage manquait pourtant d’un élément essentiel pour qu’elle fût qualifiée de premier véritable ordinateur : elle n’était pas programmable et fonctionnait à base de constantes numériques initiales des différences polynomiales complexes qui reposaient sur la disposition des mécanismes physiques, décidées lors de leur élaboration. Une grande avancée dans ce domaine allait d’ailleurs être rendu possible grâce au développement de l’algèbre booléenne qui s’intéresse aux fonctions sur les variables logiques. Son inventeur, George Boole, était d’ailleurs contemporain de Charles Babbage mais il ne semble pas que les deux hommes se soient rencontrés.
D’un point de vue opérationnel, le moteur à différence de Babbage est une machine numérique décimale puisqu’elle utilise les dix chiffres habituels de 0 à 9 représentés par les positions sur les roues dentées, plutôt que les chiffres binaires ou « bits » que préconisait Leibniz pour son calculateur mécanique appelé « Stepped Reckoner » utilisant un tambour à dents inégales. Les valeurs numériques sont représentées par les roues dentées et chaque chiffre d’un nombre a sa propre roue. Lorsque l’une des roues dentées passe de 9 à 0, la roue suivante progresse d’une position, exactement comme fonctionnait la calculatrice de Leibniz. Par contre, si une roue s’immobilise dans une position intermédiaire entre des valeurs entières, cette valeur est considérée comme indéterminée et le moteur est conçu pour se coincer afin d’indiquer que l’intégrité du calcul a été compromise. En somme, le brouillage était une forme de détection d’erreur.
Cependant, le moteur à différence de Babbage n’effectuait qu’une seule opération. L’opérateur configurait tous ses registres de données avec les données d’origine, puis l’opération unique serait appliquée de manière répétée à tous les registres, produisant finalement une solution Le moteur de Babbage surpassait tout appareil de calcul alors existant du pont de vue de sa complexité et de son audace de conception. Le moteur complet, conçu pour être de la taille d’une pièce, n’a d’ailleurs jamais été construit, du moins pas par Babbage en personne.
La conception du « moteur d’analyse »
Tout en travaillant sur le moteur à différence, Babbage a commencé à imaginer des moyens pour l’améliorer principalement pour effectuer tous types de calculs. En 1833, il avait conçu quelque chose de beaucoup plus révolutionnaire : une machine informatique polyvalente appelée le moteur analytique. Bien plus qu’un calculateur, ce moteur marque la progression de l’arithmétique mécanisée du calcul unique au calcul complet à usage polyvalent. De la définition donnée par son fils cadet, Henry Babbage, « C’est une machine qui calcule la valeur numérique ou les valeurs de n’importe quelle formule ou fonction dont le mathématicien peut indiquer la méthode de solution. Elle consiste à appliquer les règles arithmétiques ordinaires dans n’importe quel ordre préalablement défini par le mathématicien, et autant de fois que nécessaire. C’est, pour être absolument automatique, l’esclave du mathématicien, qui exécute ses ordres et le soulage de la corvée de l’informatique. Il doit imprimer les résultats, ou tout résultat intermédiaire obtenu. »[1]
En tant qu’ordinateur numérique mécanique entièrement contrôlé par un programme automatique à base de cartes perforées, une idée empruntée au métier de Jacquard, la machine analytique a été conçue pour comporter quatre composants : le moulin, le magasin, le lecteur et l’imprimante. Ces composants sont ceux qu’on observe dans chaque ordinateur d’aujourd’hui. La machine analytique « devait comporter un moulin (pour traiter les nombres) et un magasin (où les nombres sont stockés), dont les résultats de calculs intermédiaires (la mémoire de travail), composés de roues et d’engrenages. Les instructions sont introduites via des cartes perforées »[2]. En somme, le moulin était l’unité de calcul, analogue à l’unité centrale d’un ordinateur moderne ; le magasin était le lieu où les données étaient stockées avant leur traitement, exactement comme la mémoire et le stockage sur les ordinateurs actuels ; et le lecteur et l’imprimante étaient les périphériques d’entrée et de sortie. Dans « Futura Tech », un magazine en ligne, Jean Etienne, résume ces concepts fondamentaux qui semblent étonnamment caractériser les ordinateurs modernes [3]:
- Deux dispositifs séparés permettant, l’un l’entrée des données, l’autre la sortie des résultats. Ce qui correspondrait aux versions modernes du clavier et du moniteur.
- Un organe de traitement de l’information, organisant l’agencement des nombres afin de faciliter leur traitement. Ce qui correspondrait à la version moderne du microprocesseur.
- Un espace de stockage des résultats intermédiaires ou des résultats finaux. Ce qui correspondrait à la version moderne de la mémoire vive et des disques durs.
- Un moulin, actionné manuellement, chargé de distribuer la force motrice et d’animer les nombreux rouages permettant les opérations de calcul sur les nombres. Ce qui correspondrait à la version moderne de l’unité de calcul, ou l’unité arithmétique et logique, aujourd’hui intégrée dans les microprocesseurs.
- Un dispositif d’impression des résultats. Ce qui correspondrait à la version moderne d’imprimante.
On retrouvera plus tard cette configuration dans l’architecture d’ordinateur de Paul Von Neumann, constituée autour de 4 composantes distinctes à savoir : l’unité arithmétique et logique (UAL) ou unité de traitement qui effectue les opérations de base, l’unité de contrôle qui est chargée du séquençage des opérations, la mémoire divisée en mémoire vive (programmes et données en cours de fonctionnement) et mémoire de masse (programmes et données de base de la machine) qui indique à l’unité de contrôle quels calculs faire sur ces données, puis les dispositifs d’entrées-sorties qui permettent de communiquer avec le monde extérieur.
La phase de conception du moteur d’analyse était terminée en 1835. Pour y parvenir, Babbage et ses assistants avaient réalisé des centaines de dessins et des milliers de feuilles de notation. La machine finie aurait été de 15 pieds de haut mais malheureusement, ce projet a également été laissé inachevé.
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Impact des travaux de Charles Babbage
En dehors de ses inventions mathématiques et informatiques, Charles Babbage a également apporté d’importantes contributions aux chemins de fer et a joué un rôle déterminant dans la mise en place du système postal moderne. Sa polyvalence s’est étendue à l’économie politique. Les idées économiques de Babbage sont identifiées dans l’influence sur l’économie des machines et des produits manufacturés. Publiées pour la première fois en 1832 dans son livre “On the Economy of Machinery and Manufactures” dans lequel il décrivait ce que l’on appelle maintenant le « principe de Babbage », il y soulignait les avantages de l’utilisation de la division du travail dans les usines. Ces idées résultent de ses visites dans des ateliers et les installations industrielles en Angleterre et en Europe continentale. Il s’agit de l’une des premières études scientifiques sur la fabrication citée par John Stuart Mill, Karl Marx et Alfred Marshall. Babbage y a analysé la relation entre l’innovation et la division technique du travail, ce qui implique une spécialisation dans le système capitaliste. Il a remarqué qu’un travailleur qui effectuait des tâches hautement qualifiées percevait un salaire correspondant à son niveau de compétence, même s’il devait régulièrement effectuer des travaux d’un niveau de compétence inférieur. Si le processus de travail était divisé entre plusieurs travailleurs, les coûts de main-d’œuvre pourraient être réduits en n’attribuant que des tâches hautement qualifiées à des travailleurs à coût élevé et en limitant les tâches peu qualifiées à des travailleurs moins bien rémunérés.
Un legs historique
A part les quelques assemblages mécaniques partiellement complétés et les modèles de test de petites sections de travail réalisés, aucune des conceptions de Babbage n’a été entièrement réalisée physiquement au cours de sa vie. L’assemblage majeur qu’il a réalisé est un septième du premier moteur à différence, une pièce de démonstration composée d’environ 2 000 pièces assemblées en 1832. Ce travail est parfaitement opérationnel et constitue à ce jour le premier appareil de calcul automatique pouvant intégrer avec succès une règle mathématique. Une petite pièce expérimentale du moteur d’analyse était en construction au moment de sa mort en 1871. La plupart des petits ensembles expérimentaux ont survécu, de même qu’une archive complète de ses dessins et de ses cahiers. En définitive, les conceptions des vastes moteurs de calcul mécanique de Babbage comptent parmi les réalisations intellectuelles les plus notoires du 19ème siècle. Ce n’est qu’au cours des dernières décennies que son travail a été étudié en détail et que l’ampleur de ce qu’il a accompli devient de plus en plus évidente.
De ses autres inventions
En tant qu’inventeur, Charles Babbage est auteur de plusieurs autres inventions qui méritent d’être connues. En 1838, il inventa le pilote (appelé aussi le pare-buffle), l’armature métallique fixée à l’avant des locomotives, qui dégage les obstacles. Il fut aussi le premier inventeur d’un ophtalmoscope en 1847 qui permet au médecin d’examiner l’intérieur de l’œil pour détecter des anomalies ou des signes de maladie sur la rétine et le cristallin. Charles Babbage effectua vers 1854 la première véritable cryptanalyse du chiffre de Vigenère, un système de chiffrement polyalphabétique par substitution. On lui attribue aussi l’invention de la locomotive de mesure, un système de monitoring qui mesure la vitesse du train, l’effort entre les roues et le rail, etc. Babbage avait aussi mis au point un système de communication par câble aérien. Il avait même proposé un sous-marin à air comprimé, un système de communication optique avec les bateaux, une cloche de plongée, un système d’éclairage de théâtre, une plume pour dessiner des pointillés, un automate jouant au morpion, un altimètre, un sismographe, un coronographe, un système pour attraper les vaches, une monnaie décimale pour le Royaume Uni, des chaussures munies de volets articulés pour marcher sur les eaux ! etc. Il a aussi prévu l’épuisement du charbon, préconisant l’utilisation de l’énergie des marées. Il serait celui qui a fondé la dendrochronologie, une méthode scientifique permettant en particulier d’obtenir des datations de pièces de bois à l’année en comptant et en analysant la morphologie des anneaux de croissance (ou cernes) des arbres.
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Notes :
[1] Georgi Dalakov. “The Analytical Engine of Charles Babbage”. History of computers. Mise à jour 6 mars 2019. https://history-computer.com/Babbage/AnalyticalEngine.html
[2] Henri Habrias. « Jules Verne et la binarisation ». Actes XIV Colloque National de la Recherche dans les IUT, Université Claude Bernard LYON 1, 29 et 30 mai 2008
[3] Jean Etienne. « La Machine à différences de Babbage dans la Silicon Valley », Futura, Publié le 10/05/2008. https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/informatique-machine-differences-babbage-silicon-valley-15487/
Lectures sources :
- Bernard PIRE, « BABBAGE CHARLES – (1792-1871) », Encyclopædia Universalis [en ligne]. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/charles-babbage/
- François Holvoet-Vermaut. « Charles Babbage 1791-1871 ». http://mapage.noos.fr/fholvoet/babbage.htm
- Babbage, Charles, et Charles Laboulaye. Économie des machines et des manufactures. Collection XIX, 2016.
- Babbage, Charles, Philip Morrison, et Emily Morrison. Charles Babbage on the Principles and Development of the Calculator: And Other Seminal Writings. Courier Corporation, 1961.
- Collier, Bruce, et James MacLachlan. Charles Babbage: And the Engines of Perfection. Oxford University Press, USA, 2000.
- Durand-Richard, Marie-José. « Le regard français de Charles Babbage (1791-1871)sur le « déclin de la science en Angleterre » ». Documents pour l’histoire des techniques. Nouvelle série, no 19 (1 décembre 2010): 287‑304.
- « FEBACT 32 ». Consulté le 25 mars 2019. http://mapage.noos.fr/fholvoet/babbage.htm.
- « La feuille Charbinoise » L’histoire de Charles Babbage et Ada Lovelace, précurseurs de l’informatique ». Consulté le 25 mars 2019. http://www.lafeuillecharbinoise.com/?p=9930.
- XibniY. « Charles BABBAGE et la Révolution industrielle – ibni ». MATH’ TIC (blog). Consulté le 25 mars 2019. http://ibni.over-blog.com/article-charles-babbage-et-la-revolution-industrielle-48489828.html.