La loi de Moore, la controverse !

La loi de Moore est une référence souvent évoquée quand il s’agit d’analyser une innovation numérique. Elle fait référence à la perception de Gordon Moore, cofondateur d’Intel, selon laquelle le nombre de transistors sur une micropuce double tous les 18 mois. La loi de Moore stipule que nous pouvons nous attendre à une augmentation exponentielle de la vitesse et de la capacité de nos ordinateurs pour un moindre coût.

Définition

La loi de Moore tire son nom du cofondateur d’Intel, Gordon Moore qui a observé en 1965 que le nombre de transistors sur une micropuce double tous les deux ans avec une réducation des coûts. Il est important de signaler à ce propos que beaucoup considère la loi de Moore plutôt comme une ligne directrice d’observation historique et de prévision future du nombre de transistors dans un dispositif à semi-conducteur ou une puce. Dans Wikipédia, on lit :qu’ « on ne devrait pas parler de ‘‘lois de Moore’’ mais de ‘‘conjectures de Moore’’ puisque les énoncés de Moore ne sont que des suppositions ». L’Universalis précise aussi que « La loi de Moore est un ensemble de conjectures et d’énoncés sur la complexité des circuits intégrés ».

Néanmoins, dans l’entendement général, la loi de Moore implique qu’à mesure que les transistors sur les circuits intégrés deviennent plus efficaces, les ordinateurs et leur puissance de calcul deviennent petits, plus rapides et moins chers. Un autre principe de la loi de Moore prévoit que la croissance des microprocesseurs est exponentielle.

 

Tracé de Karl Rupp à partir de ses données de tendance sur les microprocesseurs (licence CC BY 4.0)

Impacts et formes d’usage

Mais la question principale reste de savoir si la loi de Moore est encore pertinente aujourd’hui? Plus de 50 ans après sa définition, nous ressentons encore de plusieurs manières l’impact et les avantages durables de la loi de Moore. L’ère de l’ordinateur personnel a été dominée par le sentiment que le consommateur a besoin de la machine la plus récente et la plus performante du marché. Chacun de nous a eu besoin d’acheter un nouvel ordinateur ou un nouveau téléphone tous les deux ou quatre ans, soit parce que ce dont on possède déjà devenait trop lent, qu’il n’exécutait pas une nouvelle application ou pour toutes autres raisons qui justifierait l’acquisition d’un outil plus performant. Sans le savoir, nous subissons l’expression même du phénomène de la loi de Moore. A l’échelle industrielle, pratiquement toutes les facettes d’une société de haute technologie traversent et bénéficient des effets de la loi de Moore. Aujourd’hui, tous les appareils technologiques depuis les téléphones mobiles, tels que les smartphones et les tablettes informatiques, les jeux vidéo, les tableurs, les prévisions météorologiques précises et les systèmes de positionnement global (GPS), etc. ne fonctionneraient pas sans disposer périodiquement de nouveaux processeurs miniatures puissants.

Mais aujourd’hui, certaines personnes remettent en question cette logique. Cela est en partie dû au changement de comportement des consommateurs : de nombreux propriétaires d’ordinateurs utilisent leur ordinateur pour effectuer des tâches simples, telles que la navigation sur le Web ou l’envoi de courrier électronique ; ces applications qui n’exigent pas beaucoup de calcul de la part de l’ordinateur. En outre, la popularité croissante du cloud computing est une autre raison pour laquelle les PC puissants ne sont pas aussi nécessaires. Le cloud computing déplace la charge de traitement et de stockage des données vers un réseau d’ordinateurs en ligne. Les utilisateurs peuvent ainsi accéder aux applications et aux informations via Internet et n’ont donc pas nécessairement besoin d’une puissance de calcul locale pour tirer parti de l’informatique en nuage. C’est d’ailleurs pour cette raison que les appareils tels que les smartphones et les netbooks gagnent en popularité. Ces appareils ne disposent pas de la puissance de traitement brute des ordinateurs de bureau et portables les plus récents. Mais ils permettent toujours aux utilisateurs d’accéder aux applications et aux données dont ils ont besoin.

Loi de Moore : entre obsolescence et pérennité

La loi de Moore est depuis quelques années un sujet de controverse entre d’une part son obsolescence comme modèle de mesure de l’évolution technologique et son dépassement par les nouveaux modèles de l’industrie informatique et d’autre part sa pérennité comme cadre de référence de l’évolution exponentielle des potentialités de calcul des nouveaux microprocesseurs. De part et d’autres, des arguments et contre-arguments tiennent la cadence d’un débat de plusieurs décennies. Il faudrait rappeler à ce propos que Gordon Moore avait lui-même annoncé la fin de sa loi vers 1975. Dans une interview de 2005, il aurait admis que sa loi « ne peut pas durer éternellement. C’est la nature des fonctions exponentielles qui ont finalement heurté un mur ». Beaucoup d’experts conviennent à leur tour que les ordinateurs devraient atteindre les limites physiques de ladite loi dans les années 2020. Beaucoup d’argument sont en faveur de cette hypothèse. D’abord, les transistors atteignent aujourd’hui des tailles atomiquement petites que la physique ne permettrait plus de réduire davantage, car il ne serait plus possible à un moment donné de rendre les choses encore plus minuscules qu’elles ne le sont déjà. Bien que le prix puisse rester constant, les performances ne peuvent excéder les limites physiques des processeurs.

Pour avoir une idée de grandeur de la performance exponentielle des circuits-intégrés, Laurent Alexandre, dans son livre « La guerre des intelligences », en établit une chronologie parlante: « En 1951, un transistor faisait 10 millimètres de large ; en 1971, 10 microns soit le centième d’un millimètre ; en 2017, les fabricants sortent les premiers microprocesseurs gravés en transistors de 10 nanomètres ; donc cent mille fois plus fins qu’un millimètre. Dix mille transistors tiendraient dans la largeur d’un cheveu. A force ce de doublement tous les dix-huit mois, on dénombre désormais 10 milliards de transistors sur un seul microprocesseur/ En juin 2017, IBM a présenté le premier prototype de transistor gravé en 5 nanomètres soit 25 atomes de large. Les industriels annoncent pour 2021, les premiers microprocesseurs gravés en 3 nanomètres, soit 15 atomes de large. Un transistor expérimental gravé en 1 nanomètre a même été réalisé. Début 2017, les spécialistes qui ont annoncé la mort de la loi de Moore se sont encore trompé »[1].

 

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Or, ce n’est que récemment que les entreprises ont constaté un ralentissement de la puissance de traitement du processeur. Outre les températures élevées des transistors qui rendraient finalement impossible la création de circuits plus petits le refroidissement des transistors prend lui-aussi plus d’énergie que la quantité d’énergie qui traverse déjà les transistors. « On atteindra très probablement la limite des 2-3 nanomètres dans quelques années, donc avec des espacements d’une dizaine d’atomes entre les composants ne permettant pas l’évacuation de la chaleur et, qui plus est, avec des comportements quantiques des électrons dans les composants qui les rendront peu fiables »[2]. Bref, des alternatives innovantes sont désormais nécessaires pour substituer une théorie de miniaturisation des transistors qui alimente les progrès de l’informatique depuis plus d’un demi-siècle. Les ingénieurs et les scientifiques doivent trouver d’autres moyens de rendre les ordinateurs plus performants autrement que par le truchement des circuits intégrés par un plus grand nombre de micro-puces superpuissantes. Au lieu de processus physiques, les applications et les logiciels peuvent aider à améliorer la vitesse et l’efficacité des ordinateurs. L’informatique en nuage, les communications sans fil, l’Internet des objets (IoT) et la physique quantique peuvent tous jouer un rôle dans l’avenir de l’innovation en technologie informatique.

L’une des manières d’appréhender la fin de la loi de Moore est dans les architectures spécifiques de domaines (DSA). Il s’agit de processeurs conçus à une fin d’accélérer des tâches spécifiques d’une application. L’idée est qu’au lieu d’utiliser des processeurs à usage général tels que les CPU (Central Processing Unit) pour traiter une multitude de tâches, différents types de processeurs particuliers sont adaptés aux besoins de tâches spécifiques. C’est entre autres l’exemple de la puce TPU (Tensor Processing Unit) construite par Google pour les tâches d’inférence complexes dans les réseaux neuronaux. La puce TPU a été conçue spécifiquement pour cette tâche. Étant donné que cette tâche est au cœur des activités de Google, il est parfaitement logique de se décharger sur une puce de traitement spécifique.

Pour accélérer leurs charges de travail énormes, les sociétés de cloud computing utilisent une sorte de technologie d’accélération. Une des options possibles est dans les unités de traitement graphique (GPU), qui ont été modifiées pendant un certain temps pour prendre en charge une grande variété d’applications. Les unités de traitement de réseau (NPU) ont également été largement utilisées pour la mise en réseau. Ces deux options fournissent un nombre important de processeurs plus petits où les charges de travail peuvent être décomposées et parallélisées pour s’exécuter sur une série de ces processeurs plus petits.

Pour les adeptes de la pérennité de la loi de Moore, la prédiction de Gordon Moore selon laquelle le nombre de transistors sur une puce doublerait tous les deux ans, est interprété à partir d’une fausse variable, celle du temps. Or, Moore a incorporé dans sa loi l’hypothèse selon laquelle, avec le temps, la demande unitaire, et donc les volumes de production, réagiraient à la baisse continue des prix. De manière empirique, et peut-être mal comprise par le marché, la croissance de la production unitaire de transistors a considérablement ralenti au cours de ce cycle économique. En conséquence, et sans surprise, la baisse de prix pour le calcul a commencé à se stabiliser. Le public proclame « la fin de la loi de Moore », sans réaliser qu’elle est biaisée depuis le début.

Wong, vice-président chargé de la recherche sur les entreprises chez Taiwan Semiconductor Manufacturing Corp, a fait une présentation dans ce sens lors d’une conférence dans laquelle il a soutenu l’idée que non seulement la loi de Moore était vivante et saine, mais qu’elle resterait viable avec la panoplie des technologies des trois prochaines décennies[3]. La seule chose qui compte pour maintenir la loi de Moore est, de son point de vue, de continuer à améliorer la densité des circuits intégrés. Il a noté que de nombreuses innovations dans la fabrication de semi-conducteurs ont permis de maintenir la densité sur une courbe ascendante. Peu importe comment ces densités plus élevées sont atteintes, tant que les entreprises peuvent continuer à fournir davantage de transistors dans des espaces plus réduits avec une meilleure efficacité énergétique. Wong pense que le prochain grand effort viendra du côté de l’intelligence artificielle et de la 5G.

Quelle perspective ?

Toutes les innovations technologiques sont dues à la nécessité de développer de nouvelles plates-formes informatiques pour des applications nécessitant un matériel plus rapide et plus économe en énergie. Cette évolution s’est étendue aux mini-ordinateurs dans les années 1970, aux ordinateurs personnels dans les années 1980, à Internet dans les années 1990 et maintenant à l’informatique mobile. Chacune de ces technologies a imposé une plus grande densité grâce à des améliorations dans la fabrication des semi-conducteurs, reproduisant ainsi les préceptes de la loi de Moore. Mais on se demanderait tout de même s’il y aurait un jour une fin à cette loi d’un demi-siècle ?

Pour beaucoup, la réponse est oui, sans toutefois déterminer quand cela pourrait se produire. D’une part, il est fort probable que les ingénieurs se heurteront à une barrière technique empêchant de trouver un moyen de fabriquer des composants encore plus petits. Mais même s’il n’y aurait pas d’obstacles techniques, les considérations économiques pourraient entrer en ligne de compte. S’il n’est pas économiquement possible de produire des circuits avec des transistors plus petits, il n’y a peut-être aucune raison d’en poursuivre le développement.

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Notes


[1] Laurent Alexandre, “La guerre des intelligences : comment l’intelligence artificielle va révolutionner l’éducation”. JC Lattès, 2018, p. 34-35

[2] Papon, Pierre. « La loi de Moore anticipe l’avenir de l’électronique », Futuribles, vol. 417, no. 2, 2017, pp. 79-84.

[3] Wong, Hei. Nano-CMOS Gate Dielectric Engineering. CRC Press, 2017.

Sources consultées

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