L’ordinateur quantique

 

Les ordinateurs quantiques ne ressemblent pas beaucoup aux ordinateurs de bureau qui nous sont si familiers : c’est un tout nouveau type de machines, capables de calculs très complexes. Selon le Financial Times du 20 septembre 2019, Google prétend avoir franchi un seuil critique de l’ingénierie quantique, appélé « suprématie quantique », en fabriquant une machine aux capacités bien supérieures à celles des ordinateurs classiques les plus puissants.

L’engouement pour l’informatique quantique est en pleine effervescence[1]. Des chercheurs de Google ont décrit dans une étude publiée sur le site de la Nasa en septembre 2019, mais rapidement retirée, des ordinateurs qui auraient atteint ce qui a été appelé la « suprématie quantique ». Il s’agit d’ordinateurs qui repoussent à des stades très avancés les limites de l’informatique quantique. Ce domaine, encore peu exploré, augure d’un nouveau type de calculateurs qui seraient capables de réaliser des taches bien plus rapidement que les plus puissantes des machines actuelles. Ces calculateurs du « futur » utiliseraient des propriétés étonnantes des particules qui permettraient d’échapper aux règles de la physique classique. Ils utiliseraient des atomes, des ions, des photons ou des électrons et leurs dispositifs de contrôle respectifs qui fonctionnent ensemble pour servir de mémoire d’ordinateur et de processeur[2].

Cela semble encore assez flou ! Déchiffrons alors les concepts !

Une question de bits et de Qubits

Kevin Bonsor & Jonathan Strickland[3] soulignent que les ordinateurs actuels, des machines de type Turing, fonctionnent en manipulant des bits existant dans l’un des deux états : un 0 ou un 1 (langage binaire). En revanche, les ordinateurs quantiques ne sont pas limités à deux états. Ils codent des informations sous forme de bits quantiques, ou Qubits, pouvant exister en superposition[4]. Étant donné qu’un ordinateur quantique peut contenir simultanément plusieurs états, il peut potentiellement être des millions de fois plus puissant que les supercalculateurs les plus puissants d’aujourd’hui.

Au fait, les ordinateurs traditionnels effectuent leurs calculs à l’aide de bits (binary digit), qui peuvent être stockés sous forme de charges électriques sur un support magnétique et des processeurs ou dans de minuscules fosses forées sur un support optique. Un bit n’a que deux choix représentés par un code binaire (0,1). Tous les calculs sont effectués via des bits de réglage et de relation, avec des opérations telles que « si ce bit est égal à zéro et que ce bit est égal à un, réglez ce troisième bit sur un, sinon définissez-le sur zéro » et ainsi de suite. Le Qubit ressemble à un bit ordinaire, mais il peut prendre la valeur 0 et 1 à la fois avant de se fixer.

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Pratiquement, l’ordinateur quantique accorde d’abord aux Qubits cette version de la probabilité quantique de ce qui se passera une fois le Qubit est fixé c.-à-d. une fois qu’il cesse d’être mystérieux et devient un bit défini. Les calculs mécaniques quantiques sont effectués en préparant les Qubits puis en les interagissant ensemble (comme un tas de pièces enchevêtrées à la fois) et en les mesurant ensuite pour que les Qubits produisent la valeur finale. Si cela se fait correctement, toutes ces interactions devraient donner une meilleure réponse (la valeur) à la question posée à l’ordinateur.

Comme l’informatique quantique utilise des calculs à base de nombres complexes, elle calcule une version spéciale des probabilités. C’est comme lorsqu’on jette des pièces en l’air, celles-ci se heurtent les unes aux autres avec leurs faces dans des orientations différentes. Une partie de ces heurts change la probabilité que la face révèle le résultat. Parfois, les pièces se croisent et s’annulent, rendant certains résultats moins probables. Parfois, elles se poussent mutuellement, rendant certains résultats plus probables que d’autres. Tout ceci est un comportement d’interférence. « L’idée avec un ordinateur quantique est de prendre ce phénomène et de l’exploiter à grande échelle », a déclaré Scott Aaronson, informaticien théorique à l’Université du Texas à Austin. « L’idée est de chorégraphier un motif d’interférence afin que tout soit annulé, à l’exception de la réponse que vous recherchiez. Vous voulez que les pièces interfèrent dans l’air. Pour l’observateur, la réponse ressemble à la sortie de bits normaux. La mécanique quantique se passe en arrière-plan ».

Origines

Les origines reviennent à plusieurs expériences qui se sont croisées pour créer le principe de l’informatique quantique. On attribue l’étincelle de l’informatique quantique à Richard Faynman, qui en 1981, au MIT, a présenté l’hypothèse selon laquelle les ordinateurs classiques ne peuvent pas simuler l’évolution des systèmes quantiques de manière efficace. Ainsi, il a proposé un modèle de base pour un ordinateur quantique capable de réaliser de telles simulations. Avec cela, il a exposé la possibilité de dépasser de manière exponentielle les ordinateurs classiques, principe que des chercheurs comme le célèbre physicien Richard Feynman a intercepté pour imaginer en 1982 le premier ordinateur quantique capable d’utiliser la mécanique quantique afin de résoudre certains problèmes complexes. Cependant, il a fallu plus de 10 ans avant qu’un algorithme spécial soit créé pour changer la vue sur l’informatique quantique. C’était en 1994 que Peter Shor avait développé son algorithme qui permettait aux ordinateurs quantiques de factoriser efficacement de grands nombres entiers de manière exponentielle plus rapidement que le meilleur algorithme classique sur les machines traditionnelles.

Au départ, c’était comme proposer une nouvelle façon de noter la musique mais sans instrument ni composition écrite pour la jouer. Ce n’est que lorsque les mathématiciens ont commencé à concevoir des algorithmes à utiliser par cet ordinateur que cela est devenu un rêve plus raisonnable. Les théoriciens ont écrit les compositions (les algorithmes), tandis que les physiciens ont travaillé à la construction des instruments (les ordinateurs quantiques physiques).

Formes d’usage

Aujourd’hui, il existe plusieurs endroits où les chercheurs pensent que l’utilisation d’un ordinateur quantique pourrait résoudre certains problèmes mieux qu’un ordinateur classique. Ils peuvent traiter des problèmes impossibles à résoudre pour un ordinateur traditionnel ou du moins qui y mettrait énormément beaucoup de temps (milliers voire millions d’années). Les chercheurs affirment en effet que les processeurs des machines quantiques seront capables de mener des opérations en trois minutes et vingt secondes là où il faudrait 10.000 ans au plus avancé des ordinateurs actuels. Ils atteindraient ainsi la « suprématie quantique » en démontrant clairement qu’ils battraient de loin en performance les ordinateurs classiques. Néanmoins, selon les chercheurs de l’entreprise californienne Alphabet, la maison mère de Google, la machine quantique ne peut encore résoudre qu’un seul calcul à la fois et l’utilisation des machines quantiques pour de réelles applications industrielles ne se fera pas avant plusieurs années. Mais pour eux, on est déjà dans « une étape essentielle vers l’informatique quantique à grande échelle ».

 

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Domaines d’application

Au cours des cinq à dix prochaines années, nous assisterons à un état de mutation lorsque les technologies quantiques seront intégrées au paysage informatique traditionnel. Ces machines émergentes auront une grande variabilité en termes d’architectures et de capacités et ne seront pas universelles en termes de modèle de programmation simple et ne seront pas facilement applicables à tous les problèmes. Les futurs réseaux d’information et de communication seront certainement composés à la fois de dispositifs classiques et quantiques, avec divers degrés de fonctionnalité, allant des simples routeurs aux serveurs exécutant des algorithmes quantiques.

Certaines des applications que nous devrions voir intégrer cette nouvelle génération d’ordinateurs sont désormais disponibles dans le commerce. Elles concernent les non moins célèbres domaines de l’intelligence artificielle, de la crypto-monnaie, de la cyber-sécurité, etc.

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– L’intelligence artificielle : L’IA est l’une des principales applications de l’informatique quantique. L’IA est basée sur le principe du deep learning ou l’auto-apprentissage au fil des retours d’informations, jusqu’à ce que le programme informatique apparaisse comme présentant une intelligence autonome. Cette rétroaction est basée sur le calcul des probabilités pour de nombreux choix possibles. L’IA est donc un candidat idéal pour le calcul quantique. Il promet de perturber tous les secteurs, de l’automobile à la médecine. Ce n’est pas pour rien que l’IA est considérée pour le XXIe siècle ce que l’électricité était au XXe.

– La modélisation moléculaire : Un autre exemple est la modélisation de précision des interactions moléculaires permettant de trouver les configurations optimales pour les réactions chimiques. Les réactions chimiques sont de nature quantique car elles forment des états de superposition quantique hautement enchevêtrés. Mais les ordinateurs quantiques pleinement développés n’auraient aucune difficulté à évaluer même les processus les plus complexes. Cette « chimie quantique » est si complexe que seules les molécules les plus simples peuvent être analysées par les ordinateurs numériques actuels.

– La Cryptographie : La plupart des solutions de sécurité en ligne dépendent actuellement de la difficulté de factoriser de grands nombres en nombres premiers. Bien que cela puisse actuellement être accompli en utilisant des calculateurs numériques pour rechercher tous les facteurs possibles, le temps considérable requis rend cette opération coûteuse et peu pratique. Les ordinateurs quantiques vont changer le paysage de la sécurité des données. Même si les ordinateurs quantiques seraient en mesure de déchiffrer bon nombre des techniques de cryptage actuelles, on s’attend à ce qu’ils créent des remplacements infalsifiables[5].

– La Modélisation financière : Les marchés modernes font partie des systèmes existants les plus complexes. Les investisseurs et les analystes se sont tournés vers l’informatique quantique en raison du caractère aléatoire inhérent aux ordinateurs quantiques qui est conforme à la nature stochastique des marchés financiers. Les investisseurs souhaitent souvent évaluer la répartition des résultats dans un très grand nombre de scénarios générés de manière aléatoire. Un autre avantage des offres quantiques pour la modélisation financière est que les opérations financières telles que l’arbitrage peuvent nécessiter de nombreuses étapes dépendantes du chemin d’accès, le nombre de possibilités dépassant rapidement la capacité d’un ordinateur numérique.

– Prévision météorologiques : Bien que cela ait longtemps été un objectif des scientifiques, les équations régissant les prévisions météorologiques contiennent énormément de variables, rendant la simulation classique infiniment longue. Cela a motivé des chercheurs du MIT à montrer que les équations régissant le temps possèdent une nature d’ondes cachée qui peuvent être résolus par un ordinateur quantique.

Pour résumer

Bien que l’informatique quantique ait déjà une incidence sur les domaines énumérés ci-dessus, cette liste n’est nullement exhaustive. Comme pour toute nouvelle technologie, des applications actuellement inimaginables seront développées à mesure que le matériel évolue et crée de nouvelles opportunités. S’il existe déjà des prototypes d’ordinateurs quantiques, ces derniers ne peuvent actuellement que réaliser des tâches similaires à celles effectuées par un ordinateur normal, mais plus rapidement. Des ordinateurs quantiques aboutis pourraient changer la donne dans des domaines telles que la cryptographie, la chimie ou l’intelligence artificielle.

L’impact global de l’informatique quantique adviendra probablement dans plus d’une décennie. Les recherches en cours dans plusieurs grandes entreprises technologiques et startups, notamment les GAFAM, ont conduit à une série de percées technologiques dans la construction de systèmes informatiques quantiques. Ces efforts, complétés par des activités de recherche et de développement financées par les gouvernements, font en sorte qu’il soit pratiquement certain que, à court et à moyen terme, se développeront des ordinateurs quantiques de taille moyenne, bien que sujets à erreurs, dotés de pouvoirs et de capacités nécessaires pour produire les premières découvertes expérimentales.

Notes :


[1] Prieur, B. (2019). Informatique quantique : De la physique quantique à la programmation quantique en Q#. Editions ENI.
[2] Papon, P. (2017). La physique quantique : Une révolution ? Futuribles, N° 421(6), 35‑46.
[3] Kevin Bonsor & Jonathan Strickland, « How Quantum Computers Work”. https://computer.howstuffworks.com/quantum-computer1.htm
[4] Antoine, C. (2017). Introduction à la physique quantique. Dunod.

[5] Bellac, M. L. (2015). Introduction à l’information quantique. Gentleman physicien. Humensis. 

Sources consultées :

  • Antoine, C. (2017). Introduction à la physique quantique. Dunod.
  • Bellac, M. L. (2015). Introduction à l’information quantique. Gentleman physicien. Humensis.
  • DIJOUX-GOALEC, P. (2018, juillet 24). L’ordinateur Quantique. Consulté 29 septembre 2019, à l’adresse Infotel website: https://www.infotel.com/actualites/blog/lordinateur-quantique/
  • Ezratty, O. (2019, septembre 20). Comprendre l’informatique quantique édition 2019. Consulté 29 septembre 2019, à l’adresse Opinions Libres—Le blog d’Olivier Ezratty website: https://www.oezratty.net/wordpress/2019/comprendre-informatique-quantique-edition-2019/
  • Lurye, S. (2019, septembre 26). La suprématie quantique a-t-elle été atteinte ? Consulté 29 septembre 2019, à l’adresse https://www.kaspersky.fr/blog/quantum-supremacy-is-here/12356/
  • Mhalla, M. (2004). Informatique quantique, algorithmes et complexité.
  • Papon, P. (2017). La physique quantique : Une révolution ? Futuribles, N° 421(6), 35‑46.
  • Prieur, B. (2019). Informatique quantique : De la physique quantique à la programmation quantique en Q#. Editions ENI.

 

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