Transhumanisme / post-humanisme : entre euphorie et vigilance !
Transhumanisme et post-humanisme, deux facettes d’un débat de longue date survenu aussitôt après la fin de l’humanise des lumières, pour se reposer des questions sur le bien-être (ou le mal-être) de l’humain et son devenir à l’aune des avancées spectaculaires des algorithmes, de l’intelligence artificielle et des nano-biotechnologies ! Va-t-on vers une déchéance de l’être ou au contraire vers un déisme de l’humain symbiotique, super-intelligent et transformé ?
Ce billet s’inscrit dans la suite logique du précédent (mars 2019) à propos des technologies NBIC et de leur potentiel convergent vers l’un des deux aboutissements inévitables : une augmentation optimale de l’humain par les avancées scientifiques et technologiques actuelles qui sont en train de concrétiser les rêves des transhumanistes (biotechnologies, nanotechnologies, manipulations génétiques développées aujourd’hui pour réparer l’être humain et augmenter ses capacités naturelles) ou une altérité post-humaniste radicalisée qui corrobore l’idée d’une substitution sine qua non de l’humain par des machines intelligentes immortelles : le débat sempiternel entre enthousiastes emballés et alarmistes vigilants s’enflamme par tout dans les cercles de la recherche et de la science. Expliquons d’abord les deux notions avant d’en explorer quelques subtilités caractéristiques.
Humanisme, transhumanisme
L’humanisme soutient la maximisation de la liberté individuelle et plaide en faveur de l’extension de la démocratie participative et de l’expansion de la société ouverte, représentant les droits de l’homme et la justice sociale. Il reconnaît que les êtres humains font partie de la nature et soutient que les valeurs humaines tirent leur source de l’expérience et de la culture humaines. L’humanisme englobe aussi généralement la protection, la célébration et la glorification des attributs uniques de l’Homme. « Dans l’idéal, un humaniste souhaite à son prochain de pouvoir se libérer du labeur et de la nécessité, pour pouvoir se consacrer à l’art, la science, la connaissance et la création. Le transhumanisme va plus loin en proposant de se libérer par le dépassement progressif de nos limites biologiques » [1]. Dans le transhumanisme, ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas a une nouvelle signification, car tout est en train de changer et d’évoluer, non seulement sur le plan biologique, mais aussi sur le plan technologique. La réalité n’est pas statique, car les êtres humains et le reste de la nature sont dynamiques et les deux changent continuellement. Le transhumanisme transcende ainsi certaines idées statiques de l’humanisme, car les humains eux-mêmes évoluent à un rythme accéléré.
Courant de pensée apparu dans les années soixante en Californie, le transhumanisme est considéré comme une déclinaison de l’humanisme issu des Lumières avec l’idée de mettre l’amélioration des conditions de la vie humaine au centre de son mouvement idéologique. Son idée princeps est que la science et la technologie sont sur le point de mener l’homme à un niveau où il profitera de capacités intellectuelles et physiques supérieures à l’humain actuel. Ces capacités le prémuniraient de la maladie et du vieillissement, lui confèreraient de meilleures conditions de longévité, voire un rapprocheraient de l’immortalité. Ce sera le chemin qui conduira inéluctablement notre société vers le post-humain !
Pour atteindre cet objectif de changement de la nature humaine, les transhumanistes croient fermement (grande confiance et croyance absolue) dans le progrès de la technologie et son potentiel à transformer physiquement les humains par la bio-ingénierie, la technologie numérique, le génie génétique et autres technologies innovantes. Ils focalisent pour cela sur le recours aux prothèses et aux implants et d’autres accessoires (homme augmenté) pour modifier le corps en améliorant les sens ou en augmentant la puissance cérébrale.
Source : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/la-science-contre-la-mort-vers-l-humain-2-0_13008
Même si les transhumanistes gravitent autour des mêmes idéaux, ils divergent en stratégies et en objectifs. Parmi les courants transhumanistes les plus connus, il y a évidemment les techno-progressistes qui se concentrent sur les retombées sociales collectives des avancées technologiques. Plus radicaux dans leurs assertions, les « immortalistes » croient en l’immortalité. Les libertariens, eux, sont plus enclins à prôner la liberté radicale de l’individu sur soi et son devenir. Les « singularitariens » croient quant à eux que la technologie aboutira inévitablement à un niveau de perfectionnement tel que l’homme ne sera plus en mesure de le contrôler. Il y aurait même un courant transhumaniste qui croit à la cryogénisation, le procédé de conserver à très basse température (env. −196 °C) des êtres vivants dans la perspective que des technologies futures permettraient de les ramener à la vie. Un courant spécifique croit dans la concrétisation de l’uploading, une technologie qui serait capable de télécharger un jour le cerveau humain sur un support numérique. En 2016, Elon Musk, patron de la société Telsa, aurait entamé un projet de recherche Neuralink[2] prévoyant l’interfaçage du cerveau humain avec une machine. Bref, parmi les courants transhumanistes, certains veulent poser des limites aux progrès de l’intelligence artificielle alors que d’autres s’inscrivent dans la radicalité technocentriste la plus absolue.
Le post-humanisme
Le post-humanisme peut être défini comme la condition dans laquelle l’homme et la technologie intelligente sont de plus en plus liés. Plus précisément, le post-humain est un état d’humanité projeté qui désigne une série de ruptures avec les postulats fondateurs de la culture occidentale moderne : en particulier, une nouvelle façon de comprendre le sujet humain en relation avec le monde naturel en général. La théorie post-humaniste prétend proposer une nouvelle épistémologie non anthropocentrique et donc non centrée sur le dualisme cartésien. Elle cherche à saper les frontières traditionnelles entre l’humain, l’animal et le technologique. Présenté autrement, le post-humanisme reconsidère la condition humaine actuelle pour éliminer les choses considérées comme de nature humaine. En d’autres termes, l’état post-humain est l’intégration complète des humains et des machines intelligentes de sorte qu’il sera difficile de discerner ce qui est humain de ce qui ne l’est pas. Dans la philosophie des post-humanistes, le projet post-humain modifiera la perspective actuelle de tout ce qui est considéré comme humain, car les schémas qui limitent le potentiel des humains seront tous débloqués. Le post-humanisme se concentre donc sur la fonction, par opposition à la forme.
Cary Wolfe, l’une des figures fondatrices dans le domaine des études animales et de la théorie post-humaniste, étudie les domaines de la bioéthique, des sciences cognitives, de l’éthique animale, du genre et du handicap, afin de développer une approche théorique et philosophique adaptée à notre nouvelle compréhension de nous-mêmes et de notre monde. Dans son livre « What is Posthumanism ? » [3], il distingue soigneusement le post-humanisme du transhumanisme (i.e. l’amélioration biotechnologique de l’être humain) et les définitions étroites du post-humain en tant que transcendance espérée de la matérialité. Ce faisant, Wolfe révèle que c’est l’humanisme, et non pas l’humain dans toute sa complexité incarnée et prothétique, qui est laissé de côté dans la pensée post-humaniste. Il s’inspire ainsi dire des idées philosophiques fondatrices du post-humanisme dans les travaux de Jacques Derrida, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Donna Haraway, Judith Butler etc. C’est Derrida qui aurait à propos le plus influencé le livre de Wolfe notamment dans sa critique continue de l’humanisme depuis sa thèse de doctorat d’état dans les années 1960, jusqu’à son travail presque final sur l’animalité.
Trans, Post : quelles différences ?
Quels seraient alors les formes de distinction entre « trans » et « post » humanisme ? Au fait, il n’y aurait pas de définition communément admise qui pourrait établir une distinction précise entre les deux notions. Alors que le terme transhumanisme se focalise plus naturellement sur la transition, c’est à dire l’amélioration de l’homme actuel, le post-humanisme peut faire référence à un post-humain ayant éventuellement quitté son statut d’humain. Cette différence, on pourrait la résumer dans l’idée que le transhumanisme préconise non pas un changement de notre manière de penser à nous-mêmes, mais plutôt une vision de la manière dont nous pourrions utiliser concrètement la technologie et d’autres moyens pour changer ce que nous sommes – non pas pour nous remplacer par autre chose, mais pour réaliser nos objectifs potentiels de devenir quelque chose différente de ce que nous sommes actuellement.
Deux autres différences sont la focalisation du post-humain sur les théories de l’information et des systèmes (cybernétique) et la relation fondamentale qui en découle avec le numérique. Il s’agit aussi de l’accent mis par le post-humanisme sur les systèmes en tant qu’entités distribuées, c’est-à-dire en tant que systèmes composés d’autres systèmes et enchevêtrés avec eux. Le transhumanisme ne met l’accent sur aucune de ces choses.
Autre différence est que le post-humanisme est un point final de la projection d’une nouvelle espèce d’homme engendrée par une modification technologique. En effet, le post-humanisme est une philosophie qui cherche à se demander intellectuellement où nous allons, après la mort de l’idée d’humanisme, vieille de 500 ans et qui, très fondamentalement, utilise les humains comme mesure de toutes choses. De nombreux philosophes pensent maintenant que, compte tenu de nos progrès technologiques et, en particulier, de ce qu’ils nous ont permis d’apprendre sur notre planète, nous ne pouvons plus agir comme si nous étions la principale chose à considérer.
Du post-historique au post-humain : la déshumanisation progressiste
Pour résumer, le post-humanisme se caractérise par une espérance de vie et des capacités physiques, psychiques et intellectuelles nettement supérieures aux capacités humaines actuelles. L’objectif du transhumanisme reste une amélioration de l’espèce humaine tant en qualité qu’en longévité, en continuité ou en rupture avec son état actuel. D’un point de vue éthique, les transhumanistes se disent attentifs aux risques liés à l’utilisation des nouvelles technologies et vigilants pour ne pas favoriser les inégalités sociales, la détérioration des relations humaines et le désastre écologique. La philosophie transhumaniste est finalement fondée sur l’idée de permettre à chacun d’arriver au stade de post-humain comme objectif ultime au vu duquel le transhumanisme ne serait qu’une étape de transition. Ce dernier aborde la vie du point de vue de l’utilisation de la technologie disponible pour produire un être super humain, un être humain du futur, un homme transhumain alors que le post-humanisme symbolise plutôt la mort d’un sujet humain et le transfert de ses qualités dans un corps post-humain.
Notes
- [1] Alexandre, « Le transhumanisme est-il un humanisme ? », 5 février 2017
- [2] « Neuralink ». Wikipedia, 14 mars 2019.
- [3] Wolfe, Cary. What Is Posthumanism? University of Minnesota Press, 2010.
Source consultées ;
- Xilrian. « Posthumanisme et Transhumanisme ». Podcast Science (blog), 15 février 2012. https://www.podcastscience.fm/dossiers/2012/02/15/posthumanisme-et-transhumanisme/.
- « Neuralink ». Wikipedia, 14 mars 2019. https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Neuralink&oldid=887802718.
- Wolfe, Cary. What Is Posthumanism? U of Minnesota Press, 2010.
- Cristol, Denis. « Préhumanisme, humanisme transhumanisme, posthumanisme ». Thot Cursus. Consulté le 17 mars 2019. /articles/41411/prehumanisme-humanisme-transhumanisme-posthumanisme.
- Sussan, Rémi. « Bienvenue chez les posthumains ». Sciences Humaines, janvier 2012. https://www.scienceshumaines.com/bienvenue-chez-les-posthumains_fr_28222.html.
- Trottein, Serge. « Le post-humanisme de Nietzsche : réflexions sur un trait d’union ». Noesis, no 10 (15 octobre 2006): 289‑300. https://journals.openedition.org/noesis/662